Le Marquis de Villette, par Etienne de Jouy

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Proche de Voltaire, Charles de Villette (1736-1793) était, selon notre grand homme, le "Tibulle français". Du parti des philosophes, révolutionnaire (il brûla ses titres de noblesse), franc-maçon et homosexuel, il connut la gloire d'être l'objet de quelques pamphlets où il paraissait sous les traits, si l'on ose dire, du "ci-derrière Villette". Ses Oeuvres complètes ont paru en 1784.
Il n'est pas désagréable de trouver son nom sous la plume d'Etienne de Jouy dont nous aurons (forcément) l'occasion de reparler un jour...


Première promenade.
C'était, comme chacun sait, un drôle de corps que le marquis de Villette. Voltaire le citait comme un des hommes les plus spirituels de France, et Saint-Georges comme une des plus fortes lames. Pour soutenir cette réputation, le marquis écrivait peu et ne se battait pas ; Mme De B. prétendait que c' était par méchanceté. Quoi qu' il en soit, il avait une sorte de facilité à tourner quelques vers, et je me souviens qu' en 1777 on parlait avec éloge dans le grand monde de sa critique du salon . En voici le début :
Il est au Louvre un galetas
où, dans un calme solitaire,
les chauve-souris et les rats
tiennent leur cour plénière :
c'est là qu' Apollon, " sur leurs pas ",
des beaux-arts ouvrant la barrière,
tous les deux ans tient ses états,
et vient placer son " sanctuaire ".
il serait difficile de reconnaître à cette description
ce palais brillant, ces portiques, ces galeries
superbes que, de nos jours, la munificence du
gouvernement s' est empressée d' ouvrir au génie des
arts ; mais peut-être quelques-uns des traits
suivans trouveraient-ils encore leur application :
des inutiles de haut rang,
des importans de bas mérite,
plus d' un Midas en marbre blanc,
plus d' un grand homme en terre cuite,
jeunes faquins bien vernissés,
voilà les héros entassés
sous l' " hangar " de la renommée ;
et, malgré l' ordre et le bon sens,
tout s' y trouve placé de sorte
qu' on voit l' abbé Terray dedans
et que Sully reste à la porte.
Une critique écrite tout entière sur ce ton ne pouvait être ni bien juste, ni bien raisonnable ; mais elle convenait à l' espèce de curieux qui visitaient alors le salon . Les expositions dont nous voyons tout Paris occupé, qu' assiège actuellement la foule des amateurs de toutes les classes, étaient jadis une affaire de mode, un moyen de distraction pour le grand monde et pour quelques oisifs qui allaient voir les tableaux après avoir été faire un tour aux Tuileries. (...)



Etienne de Jouy (1764-1846 ; avec la collab. de Jean-Pierre Merle) L'Hermite de la Chaussée d'Antin, ou Observations sur les moeurs et les usages des Parisiens au début du XIXe siècle (n° 81, 17 novembre 1812, T. 3, Paris, Pillet, p. 306).

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