Voyage chez les humoristes français, par Ernest Fornairon (1934)

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Voyage chez les humoristes français

Qu’est-ce que l’humour ?
L’humour, c’est tout simplement cette histoire : Un cafetier malicieux nommé Wertheimer avait commandé à l’écrivain gastronome Curnonsky un certain nombre de pensées pour un distributeur automatique. On mettait deux sous — c’était avant la guerre — dans l’appareil et une pensée en sortait.
Voici celle qui échut au dessinateur Jean Veber : « Tu auras des enfants qui te ressembleront; il faudra le leur pardonner ! » Voilà l’humour.
L’humour c’est encore le fameux mot de Rochefort : « L’Empire Français compte trente-huit millions de sujets sans parler de ceux de mécontentement. » C’est enfin cette petite histoire juive : « Comment, Mme Lévy, vous êtes en deuil ? — Eh bien oui, imaginez-vous, il y a huit jours nous étions à la synagogue, on a laissé tomber une pièce de vingt sous ; mon mari a été tué dans la bagarre. »
On le voit, l’humour est en quelque sorte le sourire de la vérité ; c’est dire qu’il est aussi vieux que le monde.
Au XVIIe et au XVIIIe siècle, l’humour, si vivace et puissant au Moyen Age et pendant la Renaissance, n’est plus aussi apparent, du moins en littérature. Au XVIIe siècle, la littérature est trop solennelle et, au XVIIIe siècle, l’esprit encyclopédique se prête mal à l’humour, s’oriente plus directement vers la satire et le pamphlet.
Le romantisme, lui non plus, n’est pas accueillant pour les humoristes ; cependant, sous le règne de Louis-Philippe apparaît Henri Monnier escorté de Joseph Prudhomme.
A côté de Gavarni, Henri Monnier fut, dès 1830, le prototype de l’humoriste.
A pleines mains, durant des années et des années, Monnier dépensa sa verve et son talent en caricatures mordantes et documentaires. Il créa des « types », et l’un de ces types est immortel comme la sottise humaine dont il reste l’une des synthèses… c’est Joseph Prudhomme.
A Monnier revient l’honneur d’avoir créé cette extraordinaire caricature de bourgeois égoïste, prétentieux, sentencieux, imbécile et bavard qui parle d’autant mieux qu’il n’a rien à dire et dont les mots sont d’autant plus grandiloquents que l’idée en est absolument absente.
« Aucun de ceux qui ont écouté Henry Monnier, nous rappelait le fils de l’un d’eux, n’a pu oublier sa verve intarissable alors qu’il racontait des histoires du temps passé, imitant ceux dont il parlait, depuis Napoléon — dont il mimait le faciès et les gestes — jusqu’à Talma qu’il parodiait merveilleusement.
» Et quand les enfants avaient été bien sages et qu’il se sentait en verve, derrière une tapisserie, avec pour accessoires un collier de cheval ponctué de grelots, un fouet de chasse, un verre pour y tinter les heures et une collection très complète de jurons méridionaux, Henry Monnier leur monologuait : « Un voyage en diligence ». Que tout cela est loin aujourd’hui !… On connaît le solennel contentement de soi de Joseph Prudhomme et les répliques classiques du « Roman chez la portière » et de « Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme » :
« Ce sabre est le plus beau jour de ma vie… Je jure de soutenir, de défendre nos institutions et, au besoin, de les combattre. »
Et à un Anglais cette question :
« Monsieur est d’Albion ? »
A force de jouer sur la scène le rôle de Joseph Prudhomme, Henri Monnier avait fini par ressembler à son personnage. Et ce n’était pas là le moins comique.


Un successeur direct de Joseph Prudhomme, ce fut, il y a quelque trente ans, le « Père Ubu », création fantaisiste d’Alfred Jarry. Alfred Jarry avait une existence assez particulière dont le poète surréaliste André Breton nous a tracé naguère un pittoresque tableau :
« Immuablement revêtu d’une redingote et chaussé de souliers de cycliste, il se tenait digne, dans un café de la rive gauche, devant une absinthe ou une bouteille de stout, quelle que fut l’heure, apportant même, si je puis dire, dans ses dérèglements une discipline et des principes.
» Il parlait alors, d’une voix mesurée, prononçant toutes les muettes et contant, dans un langage châtié, les histoires les plus abracadabrantes, jouant au naturel le rôle d’Ubu lui-même et se vantant d’exploits les plus imaginaires avec un grand sérieux. Il vivait, la plupart du temps, dans une maisonnette qu’il possédait au bord de la Marne ou à Paris, dans un petit appartement de la rue Cassette, faisant la navette entre ses deux logements, monté sur une bicyclette de jour ou de nuit, voire sous une pluie battante.
D’ailleurs, il aimait à se montrer sous l’aspect d’un sportsman. Il se plaisait à raconter les raids qu’il avait accomplis dans le temps le plus court et à une allure dé- fiant celle des meilleurs coureurs.
Un soir, le directeur du « Matin », Edwards, ayant fait abaisser la passerelle de son yacht sur un quai d’embarquement voisin de sa villa, Alfred Jarry dans sa tenue la plus négligée s’avance sur le pont du bateau.
Les dames invitées viennent lui tirer leur révérence.
On s’attable. Au cours du banquet, Edwards fait observer à Jarry qu’il a la mauvaise habitude de trinquer.
« — C’est bon entre gens du commun, mon cher Jarry !
— C’est bien ainsi que nous l’entendons, réplique celui-ci. A la vôtre ! »
De temps à autre, il éprouvait le besoin de venir à Paris se « mettre au vert ». Entendez que l’absinthe et les billards formaient le cadre habituel de ses villégiatures.
« Les antialcooliques sont, dit-il, des malades en proie à ce poison : l’eau, si dissolvant et si corrosif qu’on l’a choisi entre toutes les substances pour les ablutions et lessives et qu’une goutte versée dans un liquide pur, l’absinthe, par exemple, le trouble. »


Vers la même époque, un autre humoriste qui fit fureur, ce fut Georges Fourest, l’auteur de la « Négresse blonde ».
La « Négresse blonde » est un recueil de poèmes funambulesques dans le genre de ceux qui firent florès vers 1890 aux soirées du « Soleil d’or » et qui appartiennent à l’histoire des lettres contemporaines au même titre que « Parnassiculet » et les « Déliquescences d’Adoré Floupette ».
Après vingt ans, ils ont gardé toute leur saveur. Qu’on en juge par ce sonnet :

Au bord du Loudjiji, qu’embaument les arômes
Des tournbos, le bon roi Makoko s’est assis,
Un nigarmga tatoua de zigzags polychromes
Sa peau, d’un noir vineux tirant sur le cassis.

Il fait nuit ; les m’pafous ont des senteurs plus frêles ;
Sourd, un marinneba vibre en des temps égaux ;
Des alligators d’or grouillent parmi les prèles,
Un vent léger courbe la tête des sorghos ;

Et le mont Koungoua, rond comme une bedaine
Sous la lune, aux reflets pâles de molybdène
Se mire dans le fleuve, au bleuâtre circuit…

Makoko reste aveugle à tout ce qui l’entoure.
Avec conviction, ce potentat savoure
Un bras de son grand-oncle et le juge trop cuit.


L’influence d’Alphonse Allais, conjuguée avec celle du « Chat Noir », fit naître une équipe d’humoristes qui pendant plus de vingt ans brillèrent du plus vif éclat danstous les domaines, depuis le dessin et la chronique, jusqu’au roman et surtout au vaudeville et à la comédie vaudevillesque.
Un humoriste qui eut un gros succès à la fin du siècle dernier, ce fut Mark Twain. Il vint à Paris pour y donner des conférences forcément humoristiques. Il contait par exemple ceci :

« Nous étions deux frères jumeaux, mon frère et moi. Rien ne nous distinguait qu’un signe particulier que nous avions chacun de nous, mais pareil. Ma mère me préférait à mon frère et mon père préférait mon frère à moi. On nous mettait volontiers dans le même berceau. Un jour, mon père en voulant embrasser mon frère me prit par erreur et me replaça à l’endroit où dormait mon frère ; et ma mère en voulant me donner des bonbons prit mon frère et le remit à ma place.
» Et depuis lors, ma mère prit mon frère pour moi et moi pour mon frère. Et mon père me prit pour mon frère, et, en grandissant, je n’ai pas su et je ne sais pas encore si je suis mon frère ou si c’est mon frère qui est moi. Voilà ! »

Ces extravagances, débitées avec un flegme imperturbable, avaient un succès considérable en Amérique. Elles en eurent même à Paris où Mark Twain conférencia à l’ambassade d’Angleterre.

L’humour de Willy, de Grosclaude, de Tristan Bernard, de Maurice Donnay et des frères Fischer est d’une autre qualité.
Un de nos confrères a mélancoliquement évoqué le souvenir de M. Grosclaude, il y a quelques années.
« Notre monde actuel, écrivait-il, n’aurait rien compris à ses calembours ; aussi n’en faisait-il presque plus. Il errait mélancolique et un peu amer. Il avait même voulu, en quelque sorte, changer de peau en adoptant le genre sérieux. Il fabriquait pour de lourdes revues spéciales d’énormes articles d’une documentation sans appel et d’une philosophie écrasante. Je le soupçonne d’avoir toute la vie, même en son temps le plus frivole, été en coquetterie avec la gravité. C’est la grande tentation des humoristes.
» La jeunesse d’aujourd’hui l’ignorait presque complètement. Telle que je la connais, elle n’eût d’ailleurs rien compris à ce genre d’esprit. La grande spécialité de Grosclaude et des humoristes de sa génération était le calembour ; or, en dehors de ceux de Willy, qui étaient parfois formidables, ceux des autres semblaient purement mécaniques et souvent ne signifiaient rien du tout. »
Ces mots d’esprit appartiennent d’ailleurs déjà à une époque un peu révolue. Par exemple, Capus répondant à un auteur malintentionné qui lui promet de lui envoyer son dernier livre : « Inutile , cher ami ! Je vais l’acheter; vous saurez que c’est moi. » On trouve déjà cela dans Alphonse Karr ou Nestor Roqueplan.
Et voici un mot de M. Grosclaude sur François-Joseph, dont, à chaque instant, pendant la guerre, on se demandait s’il était mort ou vivant :
« Il est mort ! affirma quelqu’un, et depuis longtemps ; seulement il ne le sait pas, parce qu’on lui cache les mauvaises nouvelles. »


A Maret-sur-Loing, un médecin, le docteur D…, ayant lu un jour un poème de François Coppé intitulé « Le petit épicier », se mêla d’en faire la parodie. Le poème de Coppée commençait ainsi :

C’était un tout petit épicier de Montrouge.
De sa boutique ouverte, aux volets peints en rouge
On le voyait, debout derrière son comptoir,
En tablier, cassant du sucre avec méthode.

Parmi les deux cents vers qui constituaient ce poème, on notait, entre autres, celui-ci :

Et tous les deux, ils ont froid au coeur, froid aux pieds.

Evidemment, c’était là de l’humour involontaire. Le docteur D… écrivit donc, encore sous l’impression de sa lecture, ce sonnet :

LE HOMARD A LA COPPEE.

C’était un tout petit homard des Batignolles ;
Nous l’avions acheté trois francs, place Bréda.
Pour le payer moins cher, longtemps on marchanda :
Le fruitier, coeur loyal, n’avait qu’une parole.

Nous portions le cabas tous deux, à tour de rôle.
En arrivant auprès des remparts, Amanda
Entra chez un marchand de vins et demanda
Un setier — Le soleil dorait sa tête folle !

Puis ce furent des cris, des rires enfantins.
Elle avait un effroi naïf des intestins
Dont, je dois l’avouer, l’odeur était amère…

Nous rentrâmes le soir, peu nourris mais joyeux
Et d’un petit homard ayant fait trois heureux,
Car elle avait gardé les pattes — pour sa mère.



Willy, qui appartenait à la même génération que Grosclaude, et qui est mort ces dernières années, est beaucoup moins connu comme humoriste que pour avoir été le premier mari de Mme Colette qu’il initia à la littérature et à quelques autres arts d’agrément.
Il est mort presque misérable. La guerre, d’ailleurs, l’avait tué, en emportant dans sa tourmente la mode des jeux de mots et de l’esprit. Une époque avait sombré dans le néant.
La figure même de Paris se transformait tous les jours, et Willy n’était plus à la page. La dernière fois que je le rencontrai c’était à Chatel-Guyon, au cours de l’été 1924. Il faisait là une saison pour sa santé, dans une modeste villa des faubourgs. Il traversait, ce matin-là, la place du Casino, un cabas à la main, la rosette rouge à la boutonnière. Celui qui avait mené une existence somptueuse de prince oriental venait tout simplement de faire son marché, comme un petit bourgeois de province. Il portait encore beau, avec son torse bombé, ses feutres clairs et sa fine barbe parfumée; il essayait de lutter, mais le coeur n’y était plus et la foule l’abandonnait, ne faisait plus aucune attention à lui, toute absorbée qu’elle était par le passage en automobile de Maurice Chevalier.
C’est Willy qui nous rapporta cette anecdote, à propos de Catulle Mendès, lequel dominait, alors, de toute son autorité le Boulevard et l’« Echo de Paris » :
« La principale amie de Mendès était alors Lucy Gérard, blonde, toute jeune, en l’honneur de laquelle il fignolait des madrigaux tarabiscotés et qu’il désignait par des périphrases dont la préciosité de Far-West rappelait à la fois Gustave Aimard et Mlle de Scudéry : l’idiome d’un Peau Rouge suivant le sentier de la guerre dans le Pays du Tendre.
Et les reporters de l’« Echo de Paris » écarquillaient les yeux, lorsqu’ils entendaient le maître dire à l’aimée, tout en corrigeant ses épreuves : « Mignonne oiselle, si légère que vous vous posez sur une branche de rosier sans la faire ployer, donnez-moi une plume neuve, la mienne crache. »
Or Mendès soupçonnait Lucy aux yeux purs de regarder avec trop d’intérêt la cambrure héroïque de Moréas et les moustaches de plus en plus noires (le nitrate est d’argent et le silence est d’or) que ce Palikare effilait avec une crânerie très « indépendance hellénique ». Il fallait débusquer ce rival. Bon !
Un soir, à la Brasserie Pousset, l’auteur des « Syrtes » et des « Cantilènes » qui avait déjà bu sans modération chez Mendès et que son hôte, insidieusement, poussait aux plus odieuses vantardises, s’affirma ingrisable, appuyant ce dire d’ivrogne d’admirables histoires de beuveries que Lucy écoutait frémissante d’extase.
Il était déjà ivre de son éloquence, quand Mendès dit, d’une voix douce : « Dans la jolie ville d’Heidelberg, nous autres, étudiants en théologie, nous préparions les soirs de Commers une boisson diabolique : cognac, stout et absinthe. Nul n’y résistait, et je me demande si vous-même… »
Douter de la capacité de Moréas ? Blasphème ! Déjà le Grec appelait à grands cris le garçon qui remplit de l’infâme mixture une vaste chope. Moréas l’avala d’un trait. Il eut tort.
Livide, il dut restituer, et le flot sans honneur de ce trop noir mélange et son dîner. Spectacle sans poésie !… Il perdit, du coup, tout prestige aux yeux de Lucy qui, cependant qu’on fourrait dans un sapin le buveur effondré, murmurait au machiavélique Mendès, d’un petit air dégoûté :
— Vraiment, Catulle, je ne comprends pas que tu me fasses fréquenter de semblables pochards. »
Un autre humoriste, dont les personnages, notamment le « Captain Cap », attinrent une popularité quasi légendaire, fut Alphonse Allais, collaborateur plein de verve et de gaité du « Tintamarre » et du « Chat Noir ». A son tour, M. Maurice Donnay y entra, un soir d’hiver, comme il venait de quitter l’Ecole Centrale.
Poussé sur la scène, il dit deux poèmes timidement audacieux dont la verve nonchalante enchanta les assistants. C’était « 14 Juillet » —où se trouvaient ces vers :

Vois-tu ce monsieur qui frétille
Là-haut ? C’est ce bon Gorgibus
Ne pouvant prendre la Bastille
Il en prend au moins l’omnibus.

C’était surtout le fameux « Jeune homme triste » que devait plus tard rendre si célèbre le talent d’Yvette Guilbert :

Du lycée, il suivit les cours
Et fut aussi fort en discours
Latin, que subtil helléniste
Mais ce fut un élève triste.

En droit, il fut reçu docteur
Mais jamais ne connut la fleur
Et encor’ moins la fleuriste
Et ce fut un étudiant triste.

La politique le tenta
Le boulangisme le hanta
Puis il se fit opportuniste
Mais n’en demeura pas moins triste.

Quand il mourut, d’un eczéma
Sur sa tombe, un symboliste
Inscrivit ces mots : « Il fut triste ».

D’autres poètes, comme Jean Pellerin, pastichaient tantôt Victor Hugo :

Votre peuple opprimé qui souffre et vous connaît
Se venge d’un surnom : le serpent à sonnet.
L’Italie agonise et César est occis
On a brûlé Venise, on a pris un taxi
Et le Tchécoslovaque, abominé, honni
Coupe aux champs piémontais votre macaroni.

Tantôt Mme de Noailles :

Chicago est dansante et jongle, enchanteresse
Avec son porc, son or
Ne sachant plus si c’est, en son immense ivresse
Dollar ou bien du porc.



Tandis que certains autres, tel Pierre Mac Orlan, préconisaient l’utilisation des moustiques pour piquer à la machine à coudre ou s’installaient comme entrepreneurs de transports au cerveau.
A côté d’eux les humoristes du dessin et du pinceau ne chômaient pas. A Gavarni, à Daumier, à Cham, a André Gill, succè- dent Forain, Sem, Léandre, Caran d’Ache, Abel Faivre, Albert Guillaume, de Losques, Ricardo Florès et, plus près de nous, Sennep et Gassier. Glanons, au hasard, quelques légendes :
Un homme regarde avec une pitié dédaigneuse une femme à la figure antipathique et revêche. Et l’image de cette femme se reflète dans la glace, ce qui fait murmurer par l’homme :
« Bis repetita placent ! a dit un poète latin qui ne connaissait pas ma femme. »
Un enfant tient une poupée dans la main, et, se tournant vers son père que foudroie du regard une horrible mégère, il lui demande, montrant sa poupée : — Dis papa, c’est mieux, une vraie femme ?
— Regarde ta mère, mon enfant, répond simplement le père, d’une voix suave.
Un homme s’est étendu sur une voie de chemin de fer pour se faire tuer et on le voit, tirant sa montre, et disant avec amertume : — C’est bien ma chance, le train a encore du retard.
Deux dames, portant tous les stigmates de la prochaine décrépitude, se font des politesses au seuil d’une porte :
« Passez je vous en prie, dit Tune, c’est moi la plus jeune ! »
Voici une autre femme qui a déjà pris depuis longtemps sur la ligne de la jeunesse son billet de retour et qui profère en minaudant cette stupéfiante déclaration :
— Oh moi, c’est bien simple, à la première ride je me fais sauter la cervelle ! »
Et ce maître découvrant un de ses invités endormi à l’écart et s’écriant avec indignation :
« Il dort, quand j’ai là un ténor à 350 francs. »
Encore une boutade sur les réceptions mondaines ? Par une porte entr’ouverte, des habits noirs se glissent dehors sournoisement et avec d’infinies précautions. Il s’agit de tromper la vigilance des maîtres de maison. Et cela s’appelle simplement : La porte de secours. Voici un dialogue entre un invité à dîner et le valet de pied qui l’aide à retirer son pardessus :
— Je suis le dernier ?
— C’est-à-dire… on attend encore les huîtres.
Un homme du monde examine un tableau en compagnie de sa femme et de l’auteur de la toile :
« Avec la comtesse, hasarde aimablement l’artiste, on pourrait faire un ravissant portrait.
— Oui, mais cette année j’ai déjà fait repeindre mon auto ! » riposte tranquillement le galant mari.
Combien d’autres seraient encore à citer, mais nous avons voulu simplement rappeler la place qu’occupent et qu’occuperont toujours à côté des humoristes écrivains, dans notre société, les humoristes dessinateurs, mémorialistes parfaits de la sottise de nos contemporains.
« Il y a tant d’imbéciles ! » s’exclamait un personnage d’une comédie de Dumas ; ce à quoi son interlocuteur répliquait simplement : « Comme vous avez raison ! Il y en a même presque toujours un de plus qu’on ne croit. »
Puisse l’auteur de ces pages ne pas avoir donné l’impression d’être celui-là !


Ernest FORNAIRON

La Revue belge, 1er octobre 1934, pp. 64-75.

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