Encouragements aux lettres (Théodore Vibert)

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Encouragements aux lettres


A Monsieur Nisard, de l’Académie française.


Immortel ! il est beau d’offrir à la jeunesse
Une main secourable et pleine de tendresse :
Lorsqu’on est arrivé, comme vous l’avez fait,
Par le merveilleux art d’un écrivain parfait,
Lorsqu’on sait exalter les auteurs que la tombe
A tirés du dédain où le plus fort succombe ;
Lorsqu’on s’est fait un nom en prônant le talent
Des grands morts d’autrefois, au front étincelant ;
Lorsqu’on s’est élancé fier à l’Académie
A cheval sur le dos. d’un homme de génie,
Certes on a bien le droit d’adoucir le chemin
Aux poètes du temps en leur tendant la main ;
De le semer de fleurs, de sarcler toute épine
Qui déchire leurs bras, laboure leur poitrine,
Les rejette brisés dans l’éternel oubli
Où leur songe s’éteint au gouffre enseveli.
Savant ! ce n’est pas vous qui, dans les jeux de Grèce
En faisant triompher une stupide pièce,
Pour étouffer Sophocle en un lâche mépris
Au niais Philoctès eussiez donné le prix !
Ce n’est pas vous non plus qui tressiez à Racine
Afin de l’étrangler la couronne d’épine,
Et dans votre sagesse accordiez a Pradon
Pour l’immortaliser le plus superbe don !
Ce n’est pas vous encor qui, dans vos nobles luttes,
Ménagiez a Gilbert deux glorieuses chutes
En couronnant de fleurs quelque sot inconnu
Dont le nom jusqu’à nous n’est pas même venu.
Non ! non ! je m’en souviens : lorsque, naïf encore,
Je rêvais qu’un auteur dont le pays s’honore,
De tout jeune talent, doit être le patron,
L’aider même à gagner quelque premier chevron,
Je remis en vos mains mes pales destinées.
Mon poème chéri, celui que dix années,
Par la muse hanté, j’avais dans mon cerveau
Conçu, couvé, nourri, faible ot tremblant oiseau,
Prit son vol un matin vers votre domicile.
Vous ! vous n’avez pas fait comme cet imbécile
Qui, peut-être ayant faim, échappé des Débats,
Le vendit sur-le quai pour payer son repas.
Vous, vous êtes repu, ce n’est point vingt centimes
Qui vous eussent comblé de coulis bien sublimes !
Mais en voyant l’oiseau dont les frêles couleurs,
Ne sauraient résister aux griffes des jongleurs,
Vous n’avez pas voulu, comme ceux d’un autre âge,
Risquer d’anéantir votre renom de sage,
Prenant le pauvre oiseau qui riait quelque peu
En voyant votre mine ainsi que votre jeu,
Vous l’avez renvoyé sans feuilleter sa plume,
Sans écouter ses chants ; … en un mot, le volume,
Illustre pédagogue ! est revenu puceau,
Comme il était parti, chanter dans son berceau.
Devinez-vous, savant, l’espoir qui me console ?
C’est de songer que mort : Rimeur, Maître d’école ;
Les Nisards à venir commentant mes écrits
Dans des livres châtiés, corrects, profonds, nourris,
Entreront triomphant, droit à l’Académie
Dont la gloire sera par eux bien affermie !



Théodore Vibert Rimes d’un vrai libre-penseur. - Paris, E. Leroux, 1876, pp. 55-57.

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