Les orgies de James S. Lee

opiomane.jpg Couverture illustrée d’une image du film The Dividend (USA, 1916)



En 1935, paraissait à Londres un curieux ouvrage intitulé The Underworld of the East. Being eighteen years’ actual experiences of the underworlds, drug haunts, and jungles of India, China, and the Malay Archipelago. With plates (London, Sampson Low & Co. IX-278 p.). C’est, à l’évidence, l’un des plus extraordinaires documents que l’on puisse imaginer, doublé d’un récit de voyage singulier. Et même très singulier. William Burroughs ne s’y est pas trompé qui le tenait pour un maître-livre.

Et c’est en effet un classique de la littérature de voyage que cet Underworld of the East, et, malgré sa curieuse absence du panoramique l‘Opium : histoire d’un paradis infernal de Mary Hodgson (Le Seuil, 1999), un authentique grand livre de la « drug literature ». Il n’avait encore jamais été traduit en français.

L’Anglais James S. Lee (1872-?) aura attendu l’âge de 62 ans pour publier le récit scabreux de ses voyages “à thème” durant lesquels la chasse au tigre ou la défense contre les Dacoïts ne furent pas les occupations les plus récurrentes, et de loin… De fait, dl’Inde en Malaisie, de Shanghai au Brésil, des beuglants portuaires aux jungles tropicales, et des lupanars aux fumeries d’opium discrètes, notre gentleman-junkie a laissé un testament surprenant.

Le titre anglais de son ouvrage, que l’on pourrait traduire par Les Bas-Fonds de l’Asie, ne laisse aucune ambiguïté sur le sujet principal de l’opus rédigé par un ingénieur mécanicien, spécialisé dans les mines et le chemin de fer, qui, de 1895 à 1915, n’a cessé de s’enquérir des produits hallucinants, procédant dans la description de leurs effets avec le même soin que Théo Varlet dans son essai. Concoctant à l’aide de son laboratoire portatif toutes sortes de poudres et mélanges liquides, il profita des plantes inédites que lui offrait une nature pléthorique afin de ne pas se limiter au tout-venant de la stupéfaction. James S. Lee raconte ainsi avoir découvert à Sumatra une plante spécifique dont les décoctions lui auraient permis d’obtenir ce qu’il nomme un “élixir de vie”, souverain, bénéfique et, malheureusement, resté secret…

Il faut dire, à la décharge de cet aventurier de l’intraveineuse, que la loi britannique n’autorisait alors plus les drogues. Mais notre petit chimiste amateur avait ses réserves et, après avoir perdu sa compagne par overdose, avait assez d’expériences pour se détacher des substances. C’est du moins ce qu’il rapporte, tout en admettant avoir conservé jusqu’au soir de sa vie, à cause des piqûres, un torse et des bras bleus.

Entre deux shoots, James S. Lee, qui prétend avoir contrôlé parfaitement son rapport aux drogues - au point de parvenir à consommer tout à la fois, le même jour, opium, morphine, cocaïne et haschisch - et à se sevrer lorsque cela était nécessaire, trouve dans ses souvenirs les plus remarquables, de quoi nous traîner dans les rues louches de Shangaï, dans la jungle auprès du Mangeur d’hommes et d’exposer ainsi un tableau assez personnel, et apparemment crédible, des colons et des populations locales du Commonwealth victorien rayonnant des années 1900.

En livrant son observation de ce monde colonial appelé à disparaître, Les Tribulations d’un opiomane analysent assez précisément les conditions de vie des uns et des autres et, c’est inévitablement le trait d’un technicien, les conditions de production. Restent aussi de limpides récits de visions opiacées, des anecdotes délectables et, plus rarement, un coq-à-l’âne philosophique mièvre ou barré. Pour autant, rien ne disqualifie ce livre, surtout pas ces glissades qui témoignent peut-être des lassitudes d’un esprit éprouvé. Au fond, James S. Lee pourrait bien rester le plus grand consommateur de drogues connus pour ses écrits, juste derrière Quincey.

Il serait dommage de passer à côté de ce livre singulier. A lire sans délai, adoncque, ou à noter dans un coin pour ne pas l’oublier.


NB : L’Alamblog est preneur des scans des douze planches que contenait l’édition originale anglaise d‘Underword of the East, espérant y trouver (notamment) un portrait de James S. Lee. Une image semble avoir été réutilisée par Mary Hogdson et en rabat de la présente édition, mais sans mention de source, nous empêchant, de ce fait, de vous livrer son image.


James S. Lee Les Tribulations d’un opiomane (Underworld of the East), traduit de l’anglais par Sophie Azuelos. Préface de Mike Jay. Postface de Patrick Boman. - Paris, Intervalles, 328 pages, 19 euros

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