Pohol, histoire de 1829 (II)

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II
Misère.

Son père était mort, sa mère était morte ; il était seul au monde. — Il eut voulu mourir, lui aussi... Oh ! non ! je mens !
Il fallait qu'il vécût pour retarder l'heure de sa damnation... Vivre, n'importe comment... mais vivre... dût-il mendier son pain... dût-il voler.
Oh ! la vie — comprenez-vous ? c'était son espérance de condamné... il y tenait, il s'y cramponnait des genoux, des ongles et des dents, comme aux ronces d'un précipice, — car la damnation était au bout. — Mais il voyait chaque heure, chaque minute, chaque seconde briser, arracher une de ses ronces qui le tenaient suspendu, et toujours le nouvel appui qu'il saisissait se trouvait plus près du fond de l'abîme. — Car vivre, c'est voler vers la mort, — car chaque instant que nous vivons s'amoncèle et pèse sur notre vie et la pousse vers son terme... comme les couches d'eau sur le caillou qu'on jette à la mer...
Aussi, il pleurait avec rage, avec désespoir, ses jours vécus... Il eût voulu arrêter les heures... mais les heures passaient rapides, échevelées, plus promptes que le coursier de Mazeppa.
Il était orphelin, sans ressource ; — pour payer son grabat et son pain noir il lui a fallu vendre ses hardes, ses livres classiques. — Mais un jour il se trouva qu'il eut faim, et qu'il ne lui restait plus que sa soutane râpée qui montrait la corde, et son bréviaire huileux et noirci par l'usage... Il sortit.
Il s'en fut sonner au séminaire... demanda le supérieur, et lui dit d'une voix creuse : « J'ai faim ! » le supérieur le fit dîner.
Mais les chefs de ce saint lieu voulaient qu'il vécût ses trois ans dans le monde... espérant que son noir pressentiment l'abandonnerait là plutôt qu'ici. On lui trouva une place d'instituteur chez madame de Bax.



(A suivre.)

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