Écrire à Chen Fou...

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En choisissant d'écrire à Chen Fou, lequel Chinois est mort et enterré depuis 1810, le Luxembourgeois Lambert Schlechter se protège et se donne. Il se donne parce qu'il râcle sa vie, descend à l'enfance "anesthésiée", remonte à l'arachnide de son mur, s'épanche doucement en quelque sieste, attend sans impatience l'arrivée du gel et trace en quelques mots des chroniques de ses sensations et de sa pensée. Il se protège car il parle à Chen Fou, Chinois compréhensif et doux, aussi doux que lui.

Il n'est pas toujours facile de suivre les penseurs, parce que souvent on ne comprend pas d'où viennent leurs pensée, je veux dire : pourquoi ils pensent ce qu'ils pensent. La plupart des penseurs m'ennuient & et m'énervent. Je mets un soin particulier à choisir les penseurs avec lesquels je veux bien m'acoquiner. Il faut toujours bien examiner dans quelle posture s'installe celui qui s'apprête à vous soumettre ses pensées. Ce que j'apprécie, c'est quand je discerne, chez un penseur, un mélange égal de fermeté & d'humilité, je n'accepte pas que l'on me fasse la leçon mais je suis content quand on diminue mon ignorance. (...) J'ai feuilleté le recueil des "Pensieri diversi" de Francesco Algarotti et je tombe sur ceci : "Le coeur de l'homme n'est capable que d'une certaine quantité de plaisirs ; l'esprit d'une certaine quantité de connaissances, et pas plus ; comme l'eau qui ne peut dissoudre qu'une certaine dose de sel." C'est une pensée qui me plaît : elle me rend pensif. Au milieu de la mélasse universelle et des angoisses diffuses et omniprésentes, c'est une pensée qui apaise. Je suis d'avis depuis un certain temps qu'il ne faut pas amonceler les pensées. Une par jour suffit.


Relevant le titre des Impressions anodines consignées sans façon de Li Yu, le "vieillard au chapeau de paille au bord du lac", on ne peut guère ne pas songer à un autre penseur délicat et humble, Joël Cornault, qui donne avec ses Notes de Phénix des "Choses ardentes dites paisiblement". Il y a une fraternité des songes et de l'imagination chez ces penseurs de la délicate aventure de vivre.

Le livre parfait pour aborder l'hiver, si vous voulez bien nous en croire.



Lambert Schlechter Lettres à Chen Fou. - L'Escampette, coll. "Proseries", 2011, 119 pages, 14 €

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