Marchand est en coffret

MarchandCoffret.jpg



Jean José Marchand, homme de télévision et de culture est mort le 8 mars 2011. Il était, à l’instar de Pascal Pia, un érudit indépendant et un lecteur forcené, un critique et une référence de la recherche en histoire littéraire - certains se souviennent de l’inestimable série d’entretiens intitulée « Les Archives du XXe siècle » qu'il donnait à la radiodiffusion-télévision française (il y était chef de service) entre 1969 et 1974. Contrairement à Pascal Pia qu’il suivit à l’agence Express après son départ de Combat, il a eu droit ce printemps, de manière posthume il est vrai, à l'édition de ses œuvres critiques complètes grâce aux soutiens de jeunes chercheurs et à des éditeurs plutôt audacieux puisqu'ils ont admis qu'il fallait reprendre l’intégralité de ses articles littéraires en quatre volumes conséquents. Chance que n’a pas eu, malheureusement, Pascal Pia jusqu’à présent.

Jean José Marchand, c’est d’abord un esprit, l’esprit d’indépendance, et un temps celui qui prévaut pour certains encore, le temps qui mit l’humanisme et la culture devant toute autre préoccupation. Une forme d’universalité qui lui faisait dire : « Mieux vaut trop de richesses que pas assez ». Maurice Nadeau, dans sa nécrologie de La Quinzaine littéraire dont il fut un pilier, le présentait comme un personnage « hors normes, franc-tireur, doué de trop d’humour et de curiosité pour ne pas déplaire à ceux qui font l’opinion ».

Ne donnons pas ici le détail des sommaires, sachez toutefois qu’il y est question d’art, d’idées, de cinéma, de vie culturelle et politique, d’idées politiques, de littérature ancienne, moderne et contemporaine, d’expositions, etc. C’est au fond une véritable agenda culturel de la seconde moitié du siècle dernier qui nous est offert. C’est passionnant et riche d’enseignements et de sagesses. A propos de Jules Renard, par exemple, lors de la parution du volume de la Pléaide, on peut lire ceci :

« Le vrai classique, tel Descartes, s’avance masqué. Le faux classique, Anatole France, par exemple, a des qualités de mesure, d’élégance, de clarté, qui donnent à sa prose un léger parfum d’archaïsme ; que les années passent et ce qui semblait une belle statut est appréciée comme un joli bibelot. Il en est tout autrement du vrai classique ».

On est admis à se demander si avec Jean José Marchand on n’a pas perdu l'un des derniers exemplaires d’une grande époque de la critique journalistique libre, cultivée et ferme dans ses connaissances comme dans ses convictions. Et pour commencer, on constatera d'abord la pertinence du tout jeune homme qui écrivait en 1941 – il a alors 21 ans - à propos de L’Anthologie de la poésie française de Marcel Arland (Stock, 1941) : « il est remarquable de sentir, à l’heure actuelle, le besoin général de témoignages encyclopédiques, d’anthologies, etc. C’est comme si l’on pensait qu’une grande nuit va s’étendre sur la civilisation et que l’on veuille au moins sauver un florilège »

Jean José Marchand va rater ensuite son départ pour Londres et le regrettera toute sa vie, lui qui voulait être un héros de guerre ou un héros en littérature... Il ne lui resta donc que les livres et les femmes ; il s'en pourlécha..

En ce qui concerne les livres, J. J. Marchand opposait la culture démonétisée qui fait parler du bruit médiatique de certaines œuvres à ce que l’on appelle la culture au sens traditionnel, l’expérience vécue des œuvres. Ce sont donc bien soixante-dix ans d’écrits critiques et d’humeur qui sont rassemblés ici. Depuis son premier article dans L’Écho des étudiants de Montpellier (1941) jusqu’à son article cité ici sur la culture publié sur son blog – car il avait un blog – et repris dans La Quinzaine littéraire dont il fut le collaborateur à partir des années 1970 et jusqu'à une préface rédigée sur son lit d’hôpital.

Le travail d’annotation a été effectué sous la responsabilité de Guillaume Louet, jeune chercheur associé à l’IMEC et collaborateur de la Revue des Revues. Bref, une somme remarquable qui se livre sous coffret.

Aussi, soyez d'avant-garde, lisez du lourd.


Jean José Marchand Ecrits critiques. Édition établie et annotée par Guillaume Louet. - Paris, Éditions du Félin & Éditions Claire Paulhan, 2012. Volume I : 1941-1948 / Volume II : 1949-1957 / Volume III : 1958-1981 / Volume IV : 1982-2011. 3000 pages/ Volume V : index, 3000 pages, 120 €

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page