Georges Crès

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Un événement dans la bibliophilie !

Tous les amateurs, les plus difficiles, les plus sévères, aussi bien que les lecteurs qui aiment lire leurs œuvres préférées dans un format élégant et commode, en étant assurés d'un texte exact et rigoureux et d'une impeccable typographie, d'une ornementation du goût le plus parfait fait, connaissent les Maîtres du Livre. Nous sommes aujourd'hui heureux de leur apprendre que le centième volume de la collection qu'ils ont choisie avec tant de plaisir et recherchée avec acharnement (car les Maîtres du Livre s'épuisèrent vite) vient de paraître ces jours derniers, Les Forces Tumultueuses d’Émile Verhaeren.
Ils ne feront pas insensibles à cet événement, qui marque une date dans la bibliophilie ; M. Georges Grès, qui est l'animateur de cette collection, rejoint ainsi la lignée des grands imprimeurs du passé, des Alde et des Plantin.
C'est le 15 mai 1011 qu'on imprimait à Évreux, le premier Maître du Livre. C'était les Déliquescences. d'Adoré Floupette, livre curieux, depuis longtemps introuvable. Depuis, ont paru Sagesse, de Verlaine, Les Fleurs du mal, de Baudelaire, les Amours de Ronsard, les Poésies de Villon, Les Liaisons dangereuses de Laclos, Adolphe de Benjamin Constant, L'Immoraliste d'André Gide. Mais si nous citons ici plus particulièrement ces ouvrages, c'est parce qu'ils représentent exactement les tendances de l'éditeur Georges Crès, qui a voulu donner a son public, non seulement les chefs-d’œuvre classiques, mais ceux qui se sont plus récemment imposés.
Mais M. Crès, dans sa modestie, veut associer à ce succès ie nom de l'éminent érudit à qui nous avons récemment consacré un article. M. Van Bever, qui est depuis longtemps lié à ses travaux.
Et pourtant. lorsque parurent ces premiers volumes, l'éditeur se heurta à l'indifférence : Sagesse, Axel, ne trouvaient aucun amateur. Il ne fallait pas se décourager. Puis ce fut Dominique, et les 750 exemplaires prévus ne pouvaient plus satisfaire aux demandes. Toutefois, voulant faire œuvre de bibliophilie, il ne céda pas à la tentation de multiplier les tirages.
Avec une certaine coquetterie, il ne veut pas que son œuvre se prostitue en des mains impies. Et maintenant que voici passé le centième volume, cette collection va s'arrêter. Une vingtaine de volumes seulement paraîtront encore, parmi lesquels Le Chemin de Velours, Les Fables de La Fontaine.
Il est loin maintenant, le petit commis libraire aux manches de lustrine, qui guettait le client tout en dévorant d'innombrables romans. Georges Crès rêvait alors de planter un jour orgueilleusement, sur l'enseigne de sa librairie future, l'arbre de la connaissance et de la vie. Il eut bien raison de proposer à sa volonté un tel projet, car cet arbre, tôt, porta de beaux fruits et ne projeta jamais aucune ombre.





Les Nouvelles littéraires, 23 janvier 1923.

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