La confusion des guéridons

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Occupé à lire d'excellents écrits, le Préfet maritime a failli s'oublier dans un moelleux confort de sybarite, bercé par les mots de quelques-uns de ses auteurs favoris. Il a relu en particulier le Soir de la mémoire de Christian Bachelin, qui est, comme Yves Martin, une sorte de Jean-Pierre Martinet lui aussi : tous trois furent presque de la même bande, confits dans leurs obsessions, majestueux dans leurs ires, dotés d'un verbe gracieux et d'une humanité d'airain. De grands hommes, non sans défauts, mais de grands hommes qui ont porté les couleurs de la littérature tout au long de leur vie et ont laissé chacun plus de lignes magiques que beaucoup d'autres écrivains célébrés par mous et par veaux.
Christian Bachelin aura tenu le pompon de la mélancolie probablement, comme celui de la nostalgie. Cette dernière, il l'a mise en boîte parfumée. La boîte appartient à sa mère, qu'il visite dans sa retraite un peu nuageuse de vieille femme égarée par la chronologie des faits et par la trompeuse usurpation des jours neufs qui gomment les anciens, les gaietés d'autrefois et les souvenirs joyeux, tous ces moments enfuis, toutes les figures aimées.
Le fils parcours l'appartement poussiéreux et se souvient. Tout en retrouvant la trace des objets qui s'étaient parfois égarés dans cet univers crépusculaire, il établit l'inventaire après décès du père suicidé. On songe à l'Etat des lieux. Ce que vous auriez pu deviner d'Yves Martin (1997) où ce dernier déroulait le tapis rouge de son modeste appartement pour en offrir à ses lecteurs l'ultime luxe.
Pour Bachelin, tout ça se passait autrefois, "aux confins de l'âge du mazout" où la vie vaquait sans qu'on se doute des vacheries qu'elle gardait dans sa poche. La vie n'était pas toujours facile. Ses parents avaient fichu Christian aux Enfants de troupe, ce qui n'était pas gai-gai et guère susceptible d'attirer les petites copines. Mais il semble avoir toujours eu une formidable propension aux l'escapades de l'esprit

Les jours moites d'été, j'allais parfois furtivement me déculotter sous les ramages de ce marais, au milieu de la fraîcheur opaque des têtards, éprouvant par là, de me sentir nu et comme intimement touché par la fraîcheur marécageuse, un obscur frisson enfantin, à la fois un peu honteux et nimbé d'on ne sait quelle étrange limpidité entre le maléfice et le sortilège.

Dans sa préface au Soir de la mémoire, Valérie Rouzeau, qui a bien connu ce poète drôle d'oiseau, souligne son "lyrisme sans âge" qui confine parfois "à la cocasserie". Il est drôle Bachelin lorsqu'il se laisse capter par son double Ténébros, mais il est drôle aussi lorsque l'absurde le dépasse et qu'il tend la main pour se laisser tracter, en toute connaissance de cause, par les inconvenances du destin. Ainsi, de son père suicidé par noyade...

le marteau de mon père, ce vieux marteau-là ne tapera plus sur rien, en tout cas sur rien de bien totalement réel, il pèse là tranquillement de tout son désoeuvrement sur la dérive des petites pelures, le court-circuit des reflets figés.

Et à l'avenant, des miettes du temps et des pertes subies, Christian Bachelin tresse une élégie magnifique, douce et délicate. On la recommande à tous, il était un grand écrivain.

Ah ! que les années sont lointaines et le néant incertain, et si tout doit s'éteindre, si tout doit finir, que ce soit au moins au long d'un crépuscule sans fin.



Christian Bachelin Soir de la mémoire. Préface de Valérie Rouzeau. - Paris, La Table ronde, 139 pages, 2018, 7,30 €.

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