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Clin d'oeil renouvelé au volume compilateur que Cécile Guilbert consacre aux drogues en littérature, voici un article de Victor Cyril sur les usages plaisant du milieu.
Demain, nous présenterons quelques documents sur Victor Cyril lui-même.

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"L'artiste conçoit et enfante ses œuvres dans la. douleur M, a dit George Sand. Sans vouloir faire de. l'artiste, et plus particulièrement du littérateur, une sorte de supplicié volontaire, je crois que d'une façon générale, il crée dans le tourment, et que le travail d'inspiration est rarement joyeux. J'en appelle à tous ceux qui, pensant accoucher de quelque œuvre grandiose, mais encore assez nébuleuse, se sont assis, la plume à la main, devant une feuille de papier blanc !
C'est pour échapper à cette souffrance, et dans l'espoir combien alléchant qu'au lien de se torturer l'esprit ils enfanteront dans une riante ivresse, dans une hyperactivité miraculeusement obtenue de leurs facultés intellectuelles que, de tout temps, nombre de romanciers, de poètes, de dramaturges eurent recours aux excitants cérébraux, à ces poisons de l'intelligence que sont l'alcool, le haschich, l'opium, l'éther. Tels furent Hoffmann. qui fonda ses meilleurs contes sur les hallucinations éthyliques, dont il était victime ; Edgar Poë puisant dans l'alcool l'inspiration démentielle qui éclaire toute son œuvre d'un reflet d'enfer, et dont l'ivrognerie devint presque une méthode de travail, énergique, mortelle, mais appropriée à sa nature passionnée : Afred de Musset, alcoolique et. opiophage ; « buvant par force, écrit-il lui-même, comme s'il se fût agi d'un remède ordonné par un médecin » ; Verlaine qui fit de la fée verte le soleil de sa vie spirituelle ; Théophile Gautier et Baudelaire, princes du haschich ; Thomas de Quincey, chantre de l'opium, dont l'œuvre est celle d'un visionnaire ; Hégésippe Moreau qui chercha, lui aussi. dans la fumée des bâtonnets, à ranimer la flamme éteinte ; Jean Lorrain qui avait fini par ne plus pouvoir écrire sans le secours de l'éther dont il iarrosait des morceaux de sucre !
Ils s'ouvrirent ainsi les portes d'un palais magique où, délivrés des pesantes contingences, ils promenèrent l'ivresse de leur pensée ; mais ces portes se refermèrent sur eux ; et les mondes imaginaires, que leur orgueil avait édifiés, s'écroulèrent, les ensevelissant sous leurs ruines, Hoffmann, la moelle épinière atteinte, dut vendre pour vivre jusqu'à ses vieilles redingotes, Edgar Poë finit dans le ruisseau, Musset n'avait plus de génie à trente-cinq ans, Thomas de Quincey traîna la pire misère. Verlaine eut l'hôpital comme principal refuge, et Hégésippe Moreau s'y éteignit. Jeun Lorrain connut « les mornes ennuis des maisons de santé » et mourut victime de sa passion !
La leçon, hélas, n'a pas servi !
A ces poisons romantiques a succédé la « coco », poison moderne, poison chimique et discret, sans odeur, sans vain attirail, sans vertu lyrique, tenant dans la terrible sécheresse d'une formule. Nons avons maintenant le C17 H24 Az O4 H CL.
Les grands ancêtres, dont s'allonge plus haut la funèbre liste, eurent au moins l'excuse de leur bohème. Ils avaient fait de leur poison favori, à la face du monde, la rançon de leur gloire.
Ce poison était publiquement inscrit au tableau de leurs vices. Désordre et Génie ! Le littérateur d'aujourd'hui — je parle, bien entendu, d'une infime minorité de monomanes — procède tout autrement. « C'est la drogue nouvelle » pourrait-on chanter. Il y a recours avec méthode, et sans fla-fla, mais le crier par-dessus les toits, ce qui du reste lui causerait des ennuis certains. Pas si bête ! Les temps ont changé, La coco se cache prosaïquement sur sa table de travail, entre le tampon et d'encrier, quand ce n'est pas dans le stylographe; Il prétend la doser dans l'exacte limite où elle constitue un adjuvant cérébral ! Il se dope posément, bourgeoisement. Il prise, pour travailler, comme on prend des pilules Pink contre l'anémie. Il est de son époque !
De son époque, en effet, de cette époque de féroce utilitarisme et de godicherie tout aussi grande, sous le vouloir d'immédiat profit, en raison peut-être de cela même. Il se croit beaucoup plus fort. Il n'est que beaucoup plus bête. Il se suicide tout aussi vite et sans moins de bénéfice encore !
Il est certain que, pour la première fois, tel écrivain, sous l'emprise de la drogue, peut produire avec plus de facilité plus, plus de vitesse aussi... mais non mieux, ce qui serait assez effrayant ! Un de nos hommes de lettres les plus justement célèbres me citait le cas d'un auteur dramatique qui, pour avoir usé de cocaïne, put terminer, en l'espace d'un jour et d'une nuit, une pièce de théâtre, dont il avait mis six mois à écrire les deux premiers actes. Je connais, pour ma part, un romancier, qui écrivit en un mois un très beau roman, en puisant la poudre dans une tabatière finement ouvragée, sans pour ainsi dire sortir de son lit.
Seulement, voilà... Cela débute toujours ainsi... Griserie du cerveau !... Inspiration facile !... Confiance !... Magnifique optimisme !... Et puis, c'est l'accoutumance..On est vite mithridaté. L'organisme exige des doses toujours croissantes. Et alors, on est tout étonné de ne plus reconnaître ses amis. Mais qu'a-t-il donc ? se demande-t-on. X... verse depuis quelque temps dans une extraordinaire verbosité, Y. dans un effrayant désordre psychologique. Z. dans une mégalomanie insupportable, et leurs œuvres, à tous trois, dans une belle loufoquerie.
Cocaïne !... Cocaïne !... Leurs devanciers, qui ne connaissaient, eux, que les poisons végétaux, avaient au moins le mérite de se suicider avec éclat, en s'entourant d'un délire retentissant dont les récents avaient encore leur beauté !...
X., Y., Z., ont, voulu se traiter chimiquement, en se cachant, sans rien dire à personne. Ils ont demandé le miracle pour eux seuls. Ils n'ont, hélas ! trouvé que l'oubli dans la petite voiture où on les promène l

Victor Cyril

Paris-Soir, 1er mai 1924

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