Une rafale pour la route

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C'est au registre militaire qu'emprunte son titre Dernier Carré. La rhétorique guerrière plaît aux révolutionnaires et aux obstinés. C'est d'ailleurs ce qu'indique le sous-titre rouge : "Inlassables, tous les jours ils se remettent à vivre". Ne lâchons rien, nous dit-on, et ce sont Marlène Soreda et Baudouin de Bodinat qui nous le disent, donc on se montre attentif.
Ces deux-là, aussi dissemblables de prose que peuvent être deux écrivains, s'associent une fois encore pour livre un compendium par fragments du monde tel qu'il va. Ou plutôt tel qu'il ne va pas, puisque c'est de B. de B. - qui ne signifie pas Bien de Bien, mais Baudouin de Bodinat, essayez de suivre un peu sinon on ne s'en sortira pas - et qu'il est homme à agiter le chiffon de la Révélation plutôt que du baume. Marlène Soreda est quant à elle d'une étoffe souple et d'une humeur égale voire enjouée. Il y a peu à faire pour l'imaginer sourire à ses propres propos. Marlène Soreda est plaisante, c'est notoire, et sociable au sens élégant du terme. Ses chroniques portent cet air de Paris qu'on a toujours aimé, depuis les lettres de Delphine de Girardin, qui font aimer la vie, la ville, les gens qui peuplent la ville, les filles et les gredins, ainsi que les gradins où la Cité nous offre des assises pour deviser entre copains, les autobus et les pétrolettes diverses. Baudouin de Bodinat que l'on ne connaît qu'à travers ses écrits qui se posent un peu là (le dernier qui nous fut offert par l'ami Fabrice Lefaix a connu un succès d'estime notable : En attendant la fin du monde, Fario, 2018) est le type du penseur qu'on nommait en un siècle antérieur l'Ermite. Il a le type de l'ermite, oui, B. de B., et il prend le temps d'écrire pour exprimer ce qui lui importe - ce qui nous change foutrement de tous ces auteurs qui ne prennent pas le temps d'écrire ce dont ils se contrefoutent. Avec une retenue très post-situ, on pourrait en tirant un peu l'élastique de la comparaison (les critiques, on le sait, sont parfois à gros sabots) le placer aux côtés des Schiffter et autres songe-durs qui rassurent sur les capacités fonctionnelles du cerveau humain en territoire francophone.
Au sommaire, critique sociale et point de vue sur les images immondes du capitalisme sans gonds ni freins dans des paysages humains massacrés sous l'oeil complaisant de tous.

(On est licite aussi, "au point où nous en sommes", et s'il est trop tard pour tout, et simultanément, de cultiver aussi dans son jardin et de faire le plein de son vieux diesel avec la nette conscience de participer, pour sa modeste part, à cette prochaine libération.)

Sur un ton un peu prophétique souvent, ce qui ne coûte rien puisque l'avenir va durer encore un petit moment, et en digne descendant de ce situationnisme qui choie sa rhétorique et tresse de belles phrases, B. de B. trouve chez Valéry, dans les maximes, dans le bitcoin, dans ses lectures et de partout de quoi interroger notre monde qu'il juge casserolesque, naturellement. En somme le jaune était mis depuis lurette ; patience alors ! Que contiendra le prochain Dernier Carré qui ne sera probablement pas l'ultime étant donné l'actualité...
On ne pourra pas jeter ici notre clavier sans avoir souligné l'adéquation de la forme et du propos : autant la phrase est soutenue, autant la forme est povera. C'est fait exprès et cela fonctionne : le samizdat est l'avenir des mots, on ne cesse de le dire. Voici donc que la vêture de Dernier carré nous séduit puisqu'elle repose sur un principe très sobre d'équipement pour la pensée : un papier de cagette fait office de couverture, charme formidable, typo sobre, E façon cyrillique-suivez-mon-regard, c'est parfait.
Là, vous vous attendez à des citations à n'en plus finir qui vous permettraient de parler de Dernier carré sans l'avoir vu.
Macache.
Pour en parler, lisez.
Et pour commencer : "A la vue du cimetière, Estaminet."
Bonne route !



Dernier carré (n° 1, novembre 2018, 5 €)
La Charrette orchestrale
100, boulevard Davout
75020 Paris
Abonnement 13 euros (3 livraisons).

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