En marge de Cachées par la forêt : Jeanne Galzy

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Jeunes Filles en serre chaude, par Jeanne GALZY. {Gallimard.)
Il y a deux ans, j'ai rendu compte ici d'un roman de la romancière anglaise Clemence Dane, Régiment de femmes (1), auquel les Jeunes filles en serre chaude m'ont fait repenser. Il paraît qu'elles font penser aussi à Jeunes filles en uniforme, que je n'ai pas vu, n'allant jamais au cinéma (que Charensol me pardonne). J'avais été frappé en lisant le compte rendu du film allemand, de sa ressemblance avec le roman anglais qui lui est de beaucoup antérieur. L'auteur allemand de la pièce d'où a été tiré le film s'est-il inspiré plus ou moins consciemment de l'auteur anglais ? Il est fort probable que non ; de même, il est vraisemblable qu'en écrivant Jeunes filles en serre chaude, Mme Jeanne Galzy n'a écouté que son inspiration propre et son expérience personnelle. J'ai l'impression que le thème de l'internat féminin et de l'exaltation sentimentale factice qu'il entraîne ne doit pas offrir une bien grande variété d'épisodes possibles et que le type de la maîtresse, de la surveillante ou de la «grande » fatale pour qui tout le pensionnat se dessèche d'amour, est à peu près inévitable.
Ce qui m'a surpris, par contre, c'est de rencontrer la même exaltation artificielle dans un milieu intellectuel aussi évolué que me semblait devoir l'être notre grande école nationale de Sèvres. Je ne m'imaginais pas qu'aux portes de Paris où il leur est loisible de se rendre deux fois par semaine et où elles peuvent coucher tous les samedis, nos Sévriennes en étaient encore à cristalliser les unes sur les autres comme de jeunes pensionnaires de province au temps de nos grand'mères, Mme Jeanne Galzy a beau nous avertir que son roman n'est pas à clé et qu'il ne faut pas y chercher une peinture documentaire des moeurs sévriennes : « Pour situer mes personnages, dit-elle, je me suis seulement servie d'un décor qui m'a été familier. » Personne n'admettra que Sèvres n'ait dans Jeunes files en serre chaude qu'un intérêt de décor, de cadre. L'esprit, les moeurs, les méthodes pédagogiques de l'école y sont, décrits de façon trop précise et caractéristique pour que, malgré qu'en ait l'auteur, le livre ne constitue pas sur Sèvres un témoignage parfaitement motivé, parfaitement valable. Au surplus, le rythme de l'action romanesque y suit fidèlement le rythme de la vie scolaire, et sans doute n'en pouvait-il être autrement, mais on est bien obligé de constater que la partie de l'existence d'Isabelle Rives, que nous raconte Mme Galzy. correspond très exactement à son passage à Sèvres et n'en déborde pas d'un seul jour. Si ce n'est pas le roman d'une Sévrienne qu'a voulu écrire Mme Galzy, si c'est seulement l'aventure d'une jeune fille cultivée d'aujourd'hui, considérée en soi et indépendamment de sa qualité de Sévrienne, le fait n'en est pas moins là : dès la première page, Isabelle nous est présentée comme Sévrienne dès qu'elle cesse d'être Sévrienne, le roman s'arrête du même coup. L'avertissement de l'auteur ne doit donc être accepté qu'à titre de précaution oratoire, et comme de pur style. Jeunes filles en serre chaude est bel et bien un roman sur Sèvres. Aura-t-il le retentissement qu'ont eu en leur temps Les Sévriennes de Gabrielle Réval ? A l'époque où parurent Les Sévriennes, l'instruction supérieure des femmes avait encore des airs de paradoxe. Aujourd'hui le titre de licenciée et même d'agrégée paraît aussi convenable à la femme que le port de la jupe, mettons, pour être plus à la page : de la culotte de pyjama ou du short... Non, Jeunes filles en serre chaude ne fera scandale d'aucune façon et la passion d'Isabelle pour Gladys ne troublera aucune lectrice. Klle est d'ailleurs fort chaste et toute cérébrale, si je ne me trompe. Je n'en dirai pas autant de la passion d'Isabelle pour Marien ; il m'a paru que la Sévrienne s'offrait au normalien assez carrément et qu'ainsi la distinction était bien faite entre les exigences normales de la nature et les déviations artificieuses de sentiment nées d'un milieu surchauffé. Malheureusement, Marien refuse Isabelle, il feint de ne pas avoir bien compris la totalité de son offre, et ceci est très moderne, très après-guerre, et je n'ai pas besoin, n'est-ce pas? d'insister sur ce phénomène maintenant banal de la réserve masculine S'opposant à l'impétuosité conquérante de la femme.
Aux environs de Paris, en une région charmante que Mme Galzy ne nomme pas, le groupe sympathique dont fait partie Isabelle se rencontre toutes les semaines pour y causer, pour y jouer au tennis, pour y travailler, pour s'y reposer, pour y dormir, avec de jeunes élèves de la rue dl.'lm, dans une vieille et grande maison qui appartient à l'un de ceux-ci. Ce domaine enchanteur, ils l'ont baptisé Meaulnes en souvenir du Grand Meaulnes d'Alain Fournier et du domaine féerique dont le grand Meaulnes avait le secret. l'autre Fournier ! Ce n'est pas sans émotion que j'ai vu Jeanne Galzy rendre à sa mémoire et à son livre ce délicat hommage. Je n'étais pas de ses intimes, mais nous étions camarades, nous faisions le même métier de journalistes de lettres, nous dînions ensemble chaque mois, et il nous arriva de conspirer ensemble contre le sérieux de l'existence. Cher Fournier I Il se ressemblait si bien à lui-même ! Il avait tellement l'air de ce qu'il était ! On l'eût dit sorti tout entier du Grand Meaulnes avec son fin et clair visage, ses allures de fille ou tout au moins d'adolescent virginal, sa pudeur, ses silences... Un des côtés merveilleux de la littérature, c'est que l'on y a des amis à qui la poésie et la mort font un jour une auréole, une légende, qu'elles idéalisent, qu'elles transforment en héros et en saints à qui l'on ne peut plus penser que comme à des êtres quasi surnaturels qu'on doute parfois d'avoir pu connaître en chair et en os La Gladys Benz de Mme Galzy n'est pas une vieille fille comme la Clare Hartill de Clemence Dane, elle est encore toute jeune malgré ses airs d'autorité, et c'est une des raisons de son infériorité par rapport à l'héroïne du roman anglais. Il est difficile de donner à un type de jeune fille ou de jeune femme le relief et l'originalité d'une personnalité achevée. La jeune fille est par définition informe et changeante, elle épouse les contours de tout ce qui l'environne et l'approche. « Une jeune fille, me disait une jeune fille, ça n'existe pas », ce qui n'est évidemment qu'une façon de parler, ça existe, mais en plein devenir, comme disent les Allemands, ça bouge constamment et tient mal la pose devant l'observateur : qu'un nuage passe, et la voilà déjà différente. D'où la difficulté d'écrire un roman de jeune fille, difficulté dont je sais quelque chose. D'où la difficulté plus grande encore d'écrire le roman de plusieurs jeunes filles, comme vient de le faire Mme Galzy. On est dans l'informe, dans l'inachevé, dans l'inconsistant et surtout, quand il s'agit de jeunes filles bourrées de littérature, dans l'artificiel et le convenu. On oscille entre l'emballement et la crise de nerfs, le snobisme intellectuel et la mièvrerie sentimentale, avec cette pensée constamment présente à l'esprit que tout cela n'engage rien de profondément et authentiquement humain. Les jeunes filles sont délicieuses à voir dans la vie ; dans les romans, où on les voit à travers des mots, elles sont le plus souvent agaçantes, Pour les Jeunes filles en serre chaude, ajoutez un grain de pédanterie. Et donc la Clare Hartill de Clemence Dane, parce qu'elle a déjà de l'âge et que ses traits sont fixés, présente par elle-même plus d'intérêt que miss Benz, sans compter bien entendu, le talent de l'auteur.
Le cas de Jeanne Galzy m'a fait me demander une fois plus pourquoi cette riche simplicité qui constitue la qualité essentielle des romancières anglaises se retrouve si rarement chez les nôtres, si rarement exemptes d'afféterie et de faux art ! l.a plupart de nos romancières, sans doute influencées par l'exemple de l'exceptionnelle Colette et de la non moins exceptionnelle Noailles, font des efforts touchants, mais mal inspirés, pour écrire comme de « grands écrivains », une langue colorée imagée, expressive. Jeanne Galzy n'échappe pas à ce travers. Elle donne même, quoique Sévrienne, dans l'incorrection grammaticale. Et elle écrit par deux fois Paul-Loup Courier avec deux r, ce qui, de la part d'une universitaire, frise la provocation... Qu'elle me pardonne ! Je l'ai lue, de près, et j'ai pris au total un vif intérêt à son livre.

André Billy




(1) Clemence Dane Régiment de femmes, traduit de l'anglais par Jeanne Fournier-Pargloire. - Paris, Plon, 1932 ; rééd. Belfond, coll. "Vintage", 2014, 486 pages, 19 €


La Femme de France, 15 juillet 1934


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