Des reliures en peau humaine

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Drôle de pli dans le courrier arrivé par le dernier cargo : le Préfet maritime a eu la surprise de recevoir le tiré-à-part d'un article signé Anne Lamort sur un sujet qui passionne le petit monde de Bibliopolis depuis plusieurs demi-siècles : les reliures en peau humaine... Sujet sur lequel tout a été dit et son contraire, en particulier parce que les mêmes exemples tournaient en boucle et sans fin, certainement gonflés par la rumeur de Meudon de l'époque révolutionnaire (1). Le cas des reliures en peau humaine étaient à analyser sérieusement, et voilà que ce travail est désormais bien avancé, ou c'est tout comme, on va le voir, avec le concours de Lawrence S. Thompson de l'université du Kentucky lui aussi féru de ce matériau un peu spécial...
Anne Lamort, libraire émérite comme les alamblogonautes le savent déjà, s'est fait depuis longtemps déjà une spécialité des ouvrages à thématiques macabres, depuis les danses de mort jusqu'aux reliures à emblèmes sépulcraux. Il était juste qu'elle poursuive sa spécialisation funèbre au-delà des tibias couronnant des cols raccourcis. En s'attelant aux reliures en peau humaine, elle ajoute une pierre à l'édifice du savoir établi, et par le truchement de la science - de la science bibliographique et de la science scientifique - elle avance une série de certitudes bien confortables désormais. En effet, en allant jusqu'au bout de sa démarche de recherche, elle a fait analyser un certain nombre de reliures par des laboratoires spécialisés et, puisque l'ADN ne ment pas, a pu départir les peaux d'Hommes des peaux de cochons (2) - les féministes apprécieront, même si certaines de ces matières de couvrure étaient à l'origine propriétés féminines.
Si tous les exemplaires "réputés" n'ont pu être localisés et analysés, quelques-uns sont désormais validés tout à fait. Passons sur les racontars de Goncourt ou des petits malins de l'esbroufe, les pièces du dossier n'étaient pas si nombreuses, mais... elles n'étaient pas si rares non plus. Les quatre-vingt-six cas repérés dans ce catalogue le prouvent. Beaucoup de Danse de mort d'Hans Holbein bien sûr, mais aussi un ou deux Camille Flammarion (les fameuses épaules de sa lectrice énamourée), quelques seins placés ici ou là, des pattes, des râbles, bref toute la dermerie.
Reste la question éthique du commerce de ces fragments d'individus qui ne tombent pas spontanément comme les cheveux ou les dents (autorisés à la vente ceux-ci, sachons-le). Anne Lamort, fine mouche, s'interroge sur la formulation de l'arrêté du Garde des Sceaux du 21 février 2012 agréant l'exception pour les autres morceaux de la bidocherie corporelle qui peuvent donc être vendus dès lors qu'ils "constituent sans équivoque des bien culturels". Un "sans équivoque" qui n'en manque pas.
Reprenant l'histoire de cette pratique qui remonte au XVIe siècle, Anne Lamort conclue : "Comme il existe des armes par destination, le livre en peau humaine se juge aussi par ce que son commanditaire a voulu en faire." Soulignant ainsi le cas paradoxal où une reliure a été retirée d'une vente aux enchères (vente Philippe Zoummeroff, Crimes et Châtiments) alors qu'elle provenait d'une peau léguée par son possesseur, un criminel, au docteur Lacassagne, le célèbre criminologiste, afin qu'elle soit justement transformée en reliure.
Et puis Anne Lamort rêve du projet absolu qui rejoindrait les idéaux bibliophiliques (écoute bien, ô Umberto !) : "Qui sait si des recherches ADN n'aboutiront pas à la découverte d'une livre de mémoires relié dans la peau de son auteur, fusion cartésienne du corps et de l'esprit en un seul métaobjet.


Anne Lamort Reliure Relique. - paris, Librairie Anne Lamort, 20 pages, prix non mentionné.


(1) Des représentants du peuple auraient porté des culottes de peau issues de victime de la guillotine. Pure fantasme.
(2) Rien de pareil que la peau de porc et d'être humain, comme quoi.



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