Fin de partie pour revenu de tout

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Publiée sous le manteau alors que le régime communiste polonais n’avait pas encore atteint le bout de son rouleau, La Petite Apocalypse de Tadeusz Konwicki est un roman qui compte dans une vie de lecteur. C’est l’histoire d’une rencontre d’un homme avec son destin, qui n’est pas un destin mais un échec, et, dans le même moment, une victoire humaine contre la déliquescence et la fausseté. Une victoire de la dignité contre les compromissions et les faiblesses qui permettent de vivre, mais dans l’indignité.
Difficile suivre la trajectoire de son narrateur au cours d’une journée à Varsovie sans penser à certaines pages de Leo Lipski ou de Piotr Rawicz, et à tous ces récits de dérives urbaines et métaphysiques.
La journée en question n’est pas n’importe laquelle puisque c’est la dernière. Des amis du narrateur lui proposant de s’immoler pour porter un grand coup au système : « Nous voudrions te proposer quelque chose. Au nom de tous les camarades ... Que, ce soir, tu te fasses brûler devant l’immeuble du comité central du Parti. » Et le héros de parcourir la ville, happé par les uns, rejoint par les autres, en butte aux lubies, aux folies ou à la volonté de certains.
Face à son engagement et à son oeuvre, interrompue faute de désir, le narrateur exprime au fil de sa déambulation ses désillusions et ses doutes. Avec, au fond de son interrogation, la lourde question de l’engagement sur lequel il a bâti sa vie. Quel sens avait-t-il et quel sens a-t-il encore face au cynisme rampant ?
Quelle fantasque, ironique et cruelle journée...

Quand tu as rejoint la clandestinité et commencé à publier à l’étranger, les salons artistiques officiels ont poussé des rires sardoniques : tu cherchais des récompenses en faisant de la lèche à l’Occident, tu te servais de la politique pour faire une carrière littéraire... Quand les étudiants te photocopiaient la nuit, quand de vieilles maniaques tapaient en cachette tes essais et que tes pensées désespérées et tes vaines espérances étaient diffusées dans le pays à quelques dizaines d’exemplaires, c’étaient tes collègues, tes fidèles compagnons , gardiens et vestales du feu sacré de la nation qui flirtaient avec notre régime étourdi en sachant que c’était là un flirt ambigu mais payant. Ils montaient toujours plus haut en ramassant le fric et l’estime du pays, ils se faisaient valoir à l’étranger en profitant des appuis diplomatiques et des fonds de la grande machine de l’Etat. C’est eux qui clignaient de l’oeil au monde libre pour lequel ils représentaient la force morale d’un pays oppressé, cette force dont ils étaient les créateurs et les guides. Quant à toi, pauvre vieille cloche, tu recueillais des coups de pied de la part des uns et des autres. Maintenant tu baisses le levier de ta destinée. Avec quel bilan ? Qui, en dehors de moi, a embelli dans nos casemates ? Qui d’autre a passé des nuits blanches tourmenté par sa conscience ? Qui a accepté de sauter dans le feu, de pécher par offense au Seigneur ?
As de pique s’assit au milieu de la salle. Il ne me regardait pas plus que les trois moribonds. Le museau en l’air, il contemplait de ses yeux ronds comme deux perles le Vert pâle des carreaux du plafond, le vert des espoirs déçus.

Magistrale leçon de lucidité, La Petite Apocalypse réjouit tous les sens. C’est une lecture particulièrement saine en période de confinement. Elle devrait donner à tous le réflexe de penser à ce que l’on fait et à ce que l’on dit. Mais, entendons-nous bien : de penser ''vraiment’’ puisque les choses ne sont jamais aussi simples qu’on peut l’imaginer. Action/Réaction, intentions, ambitions, désirs et résultats, voilà les motifs de la fable de Tadeusz Konwicki, qui n’aurait probablement pas volé le Nobel pour une roman comme celui-ci.



Tadeusz Konwicki ''La Petite Apocalypse’'. Traduit du Polonais par de Zofia Bobowicz. Préface de Costa-Gavras.— Marseille, Editions du Typhon, 332 pages, 18,90 €

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