Robert Morel 1950

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Instantanés
Robert Morel
Les traits fins, les sourcils abondants, la bouche mobile, Robert Morel a des yeux étranges, des yeux de gazelle, immenses, attendris, malicieux ou chargés de colère. Quand je lui parle d’interview, il bondit :
— C’est contre ma volonté que vous allez parler de moi, j’ai horreur de cela.
Le voici braqué, sombre, muet comme un hippocampe. J’essaye de l’amadouer :
— Qu’avez-vous fait aujourd’hui ?
— Je suis allé dans les bois et j’ai grimpé aux arbres. Le me laissais glisser en bas, c’était merveilleux...
— Comment avez-vous commencé votre carrière d’écrivain ?
— J’habitais Lyon dans ce temps-là, une chambre mansardée, et souvent je me promenais sur les toits et je lisais « Isaïe », tout haut.
— Vous jouiez les muezzins ! Et vous aviez des ouailles ?
Regard noir.
— Le soleil, les nuages ou les étoiles me suffisaient. Je lisais de toute ma force avec toute ma voix. Ensuite, je fermais le livre et je continuais à crier. Je n’écrivais pas encore mais je lançais des imprécations contre le mal du siècle...
Il se met à rire, le sombre prophète est redevenu un enfant. Je n’ose lui poser de nouvelles questions, mais il répond de lui-même à mes pensées :
— C’est très difficile d’expliquer tout cela. Mais un jour, j’ai eu besoin d’écrire ce que je sentais.
— Et c’est ainsi que vous avez fait « L’Annonciateur », qui a soulevé tant de controverses ?
— Oui et aussi mon premier livre de poème, « Contre les hommes », et encore « Sa Mère » et « L’Evangile de Judas ».
— Il paraît qu’à ce moment-là vous êtes devenu aussi méchant que le dénonciateur du Christ ! — Non, c’est quand j’ai écrit « La Farce de Judas », une petite pièce qui a été jouée en Suisse et en Allemagne, que je me suis senti transformé moi-même en une sorte de Judas. Je disais à ma femme des paroles terribles sur le désespoir. Béatrice était effondrée et ensuite je devais faire des efforts surhumains pour laisser parler l’autre personnage, le moi ordinaire, pour la remonter.
— Et « Saga », cette belle histoire nordique, si différente de vos premiers ouvrages, comment l’idée de l’écrire vous est-elle venue ?
— Il y avait longtemps qu’elle traînait dans ma tête. Je porte très longtemps mes livres en moi, mais quand ils sont mûrs, j’accouche très vite et presque toujours dans la douleur. Je travaille alors des nuits entières, je ne fais plus que cela, j’ai besoin de rejeter tout en dehors de moi-même. Mais vous m’ennuyez avec vos questions.
Marthe Mayer, qui assiste à notre entretien, m’affirme que « Saga » est née des couleurs, ou plus exactement d’une discussion au cours de laquelle Morel affirmait que la couleur blanche ne pouvait se passer de la couleur rouge.
— Dans un langage plus clair cela signifie sans doute que la pureté attire le martyr ?
— Oui, si vous voulez, reprend Robert Morel. Les livres entrent dans la liturgie, dans le temps, dans les saisons... Ainsi, « Vous aurez », le premier livre de la série que je viens d’achever avec « Joyeuse » (1), fut mon carême. Je le vécus douloureusement jusqu’à Pâques. Je l’ai écrit pour me confesser, pour convertir...
— Voulez-vous me parler de cette trilogie que vous venez d’achever.
— « Vous aurez » ne pouvait avoir de sens que si après avoir averti les croyants, j’avertissais aussi les non-croyants, et c’est pour cela que j’ai écrit « Les Satisfaits ». Mais ces deux ouvrages n’existent que par une vérité joyeuse...
— D’où le nom de « Joyeuse » que vous avez donné au troisième livre ! Ce n’est pourtant pas si joyeux puisque vous faites mourir votre héroïne !
— Mais puisqu’elle meurt sauvée, c’est l’essentiel. La vie n’est ou ne devrait être qu’une préparation pour le ciel. Et je veux prouver qu’en 1950 on peut être une sainte en dépit de la vie moderne.
— N’écrivez-vous pas aussi une vie de saint François d’Assise ?
— Je l’appellerai « François le joyeux ». J’écris aussi en ce moment un saint Patrick qui m’intéresse beaucoup et je rêve ensuite de parcourir la Palestine à pied pour écrire un livre sur Hérode. Je mettrai le temps qu’il faudra, huit mois ou un an et j’étudierai sur place les rapports entre la religion, la nation et l’Etat... — Il me reste à voussouhaiter bon voyage, cher pèlerin.
Gisèle d'Assailly

(1) Julliard.

Nouvelles Littéraires, 1950.




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