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RIen de tel qu’une nouvelle traduction pour redonner du peps à un texte et l’envie de le lire : publié dans une première traduction de Francis de Miomandre le grand passeur, en 1954, ''Le Grand Burundun-Burunda est mort’’ reparaît à grand bruit — et il mérite ça — dans la nouvelle traduction de son éditrice, Véronique Yersin.
Nous n’avons qu’un mot à dire : Caramba !
Ce texte, courte prose considérée comme un poème est aussi un éloge funèbre en forme de fausse élégie, de vrai pamphlet et de reportage méticuleux et ricaneur sur ce qui devient une sorte de défilé de carnaval sur la plus longue et large avenue du monde à l’occasion des obsèques d’un dictateur. Conçu en 1952 par l’écrivain et journaliste colombien Jorge Zalamea (1905-1969), c'est un pur régal de littérature contestataire, décrivant les étapes de l’asservissement des individus, de l’effacement de leur individualité, de leur sensibilité à travers les menées d’un redoutable manipulateur.
On voudrait vous citer ici morceau par morceau toute la physionomie de ce qui est le reportage des obsèques du dit caudillo imparable, contentons-nous plutôt d’un fragment :

Il parlait comme on vide une charrette de gravats, comme éclate une chute de grêle, comme se déverse un fleuve en cataractes. Le Grand Burundun-Burunda parlait comme l’indique son nom.
Pendant de longues années, il ne parut pas avoir d’autre ambition que celle de parler. Il ne désirait pas occuper d’autres postes que ceux qui lui permettaient de parler, il ne donna pas d’autres témoignages de sa vie que celui de la parole. Quand les auditeurs allaient dormir, Burundun devait encore palabrer avec le papier... car l’Eloquent était également un scribouillard prolifique.
Comme il y en a qui détruisent avec une lime, avec une pioche, avec une troche, avec une lame de rasoir, Burundun détruisait avec les mots. Il détruisait de réréfence, bien sûr, ce qui se forme et s’alimente avec les mots : l’honneur, la renommée, la réputation, le prestige. Toutes ces choses d’autant plus précieuses qu’elles sont vulnérables, toutes ces choses dont les hommes se nourrissent et se couvrent et sans lesquelles ils seraient comme de pauvres bêtes affamée et écorchées, toutes ces choses sur lesquelles s’édifie l’amour, se construit la paix, s’établit la justice et s’épanouit la vie, toutes ces choses qui, de par leur beauté même ne sont ni vérifiables, ni mesurables, ni comparables, ni défendables, toutes ces choses...
A la manière de certaines bestioles rampantes et souterraines qui se nourrissent des déchets même du chemin qu’elles creusent, Burundun transformait en graisse les réputations qu’il démolissait. Plus les détritus qu’il format, avait et digérait étaient importants, plus le sentier qu’il déblayait était large face à son obésité croissante et malsaine, et plus nauséabond était le chemin obstrué derrière lui.

Durant les obsèques, non loin du cercueil du Grand Assassin, Cacique des morts, néanmoins Insigne Bafouilleur, à environ cinq cent mètres toutefois — il faut ce qu’il faut et l’avenue est large (300 mètres tout de même) —, il y a ce cheval, son cheval, un sacré cheval, enfin libre et moqueur, pas bête du tout.
Dans une ambiance glissant entre''1984’’, fantaisie à la Louis II de Bavière et danse des fous, Zalamea évoque le dictateur avec malices, tresse des lauriers, dresse des statues, joue de la litanie des listes et des précisions de la chronique pour forger une figure à laquelle il adresse signes d'emphase laudative et crachats symboliques — on s’apercevra après coup qu’ils évoquent et les uns et les autres ces textes religieux tapés au coin de la mystique auprès desquels ont été placés, tout à côté mais en direction opposée de leurs jouissances laudatives, la vindicte venimeuse du pamphlet et la complainte des porte-sentiments qui nous rendent humains. Le tout est un mélange sensationnel, polymorphe, inédit, dont les contrastes sont assumés.
Pas si loin des grotesques de ''L’Oiseau d’acier'’ d'Axionov, de la componction des études de cas politiques et du débridé de certaines fantaisies politico-fantasques comme on en a lu en Argentine, par exemple, ou en Europe centrale, il ne reste plus pour parfaire la scène qu'à convoquer Hrabal et Bosch, Fritz Lang, le Génie des Carpates et cet inénarrable Trump. Vous voyez le tableau.
Dictateurs de tous les pays, soyez sympas, rejoignez le Grand Fallacieux, et vous, lectrices, lecteurs, ne ratez pas ce livre, c’est désormais un classique rendu à la vie par les éditions Macula.



Jorge Zalamea Le Grand Burundun-Burunda est mort, traduit de l'espagnol par Véronique Yersin. Edition bilingue. Préface de Patrick Deville (1), traduite en espagnol par Fabienne Bradu — Paris, Macula, 2018, 131 p. 14 €




(1) Petit correctif à la préface: la réédition de Mon Caméléon de Francis de Miomandre (L’Arbre vengeur, « L’Alambic, 1998 ; rééd. 2017) permet de constater que Miomandre était le plus grand traducteur des littératures hispaniques en français du siècle dernier, ainsi que le maître en la matière de Claude Couffon. Il n'a pas été opposé à Valery Larbaud, lequel n’était pas candidat, au cours des discussions du jury du premier prix Goncourt de l’histoire (1908) — Jules Renard ou Léon Deffoux en ont témoigné. Quant au livre de Miomandre primé à cette occasion, il s’intitule bien « Ecrit sur de l’eau ».

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