Holyhood Cal.

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Hollywood attire les curieux. Plus pour les feux de la rampe que pour son climat délicieux sans doute. Les célébrités, l'aspirateur social, la brillante coolitude qui y règnent ont poussé une foule sans cesse renouvelée parmi laquelle de rares talentueux ont trouvé la gloire, quand la majorité des autres mordait la poussière avec ou sans l'aide de leur talent propre. N'est-ce pas cette loterie darwinienne qui constitue le fond du rêve américain ? Un sale cauchemar pour l'être humain au vrai.
L'un des premiers, Blaise Cendrars était allé en Californie faire son reporter à pied. C'était en 1936 : Hollywood, la Mecque du Cinéma (Grasset). Le cinéma était à peine sonore... Depuis, un siècle d'activité cinématographique offre aux amateurs un certain recul et, surtout, une foule d'anecdotes illustratives ou extraordinaires, des tranches biographiques, des morceaux de décors et d'histoires variées, et c'est ce que propose dans un livre au fil de ses idées Alessandro Mercuri, qui nous fait aussi bien l'étymologie du mot Californie, si tant est qu'elle soit possible, que la rapide biographie d'une suicidée du 7e art, en même temps qu'il livre quelques secrets des studios et des informations sur son propre parcours professionnel.
m Dès lors que l'on parle de cinéma et de littérature, on ne peut s'empêcher de penser à un Français voué comme Mercuri au 7e Art : il s'agit de Didier Blonde, le mélancolique enquêteur féru de muet et de studios disparus, qui tourne grâce aux vieux journaux et aux archives autour des stars et des starlettes (1) comme un amoureux délaissé. Il nous tresse des livres comme des successions de destins. Entre Cendrars et Blonde, Alessandro Mercuri se glisse peu ou prou, apportant lui aussi sa pierre à l'édifice. Une nuance importante cependant : il est aussi réalisateur et, c'est plus curieux, adepte des extraterrestres (Philippe Baudouin trouvera chez lui un confrère). Par ailleurs, il est joueur, ce qui donne à son récit bariolé des faux-airs de fiction, les curiosités de la vie lui donnant parfois l'allure de fiction. Les lecteurs de récits documentaires connaissent ça.
Ce qui est frappant, c'est qu'entre Cendrars, Blonde et Mercuri, tout un monde de technologies s'est déployé et que les livres de chacun des trois se déploient conformément à ce que leur permet leur époque. Pour être plus explicite, si Cendrars en tenait pour le manuscrit sur calepin et pour la machine à écrire, qui supposent l'un et l'autre un tempo spécifique de la phrase, il y a tout lieu de croire que Blonde passe du manuscrit au traitement de texte : il a le loisir de retravailler ses phrases, de fignoler, d'assujettir soigneusement les éléments de ses phrases, de les faire jouer, tinter, sonner comme il le souhaite. Chez Mercuri, ce qui est notable, c'est qu'un nouveau glissement technologique a eu lieu. Et à lire ses pages on l'éprouve comme les Californiens ressentent les coups de boutoir des plaques tectoniques : qu'il écrive à la main ou sur traitement de texte, tablette, portable ou téléphone, on retrouve chez lui le flux pléthorique des informations qu'il a piochées dans les vastes poches de l'imperméable du net, cet internautique océan où ont été suspendus comme chaussettes sur corde à linge les fait divers les plus craquants, les faits (vrais ou faux), les anecdotes qui font sens ou garde une allure décorative, les cartes postales de chaque lieu-dit et les données historiques ou linguistiques dont il se sert au rythme tressautant de son récit baladeur.
Mimétiquement décousu, cet Holyhood (bois de houx) démystifiant puisqu'explicatif produit un effet identique à la consultation de réseau social : je scrolle, tu scrolles, il/elle scrolle, nous scrollons finalement tous beaucoup d'un sujet à l'autre, enquillant le nom de Jules César ou de la reine Calafie au cinéma d'Ed Wood ou d'autre sujet afférent. A l'instar de nos "amis" d'ici et d'ailleurs, nous passons sans esprit de suite des Amazones guerrières décrites dans les proses du XVIIIe siècle aux décors ensablés de tel péplum — l'une parce qu'elle offre un savoir peu courant, l'ensablé parce qu'il offre de belles images "iconiques", puisque c'est l'idiome du moment. Et l'on n'oublie certes pas les "pépites" dont on tente de nous distraire. Quant au contenu, Mercuri y ajoute encore des notes pleines d'informations formant îlots disproportionnés en bas de pages. Et là, même coqs-à-l'âne, même ponts, même rivières : on trouve tout à l'Internitaine.
Etourdissant un peu, ce texte sans ridelles retrouve finalement le fil d'un documentaire qu'on a perdu de vue plusieurs fois au cours des lacets de la route. Alessandro Mercuri fait livre de son discours mais ce qui importe sans doute c'est qu'il forme documentaire sur notre époque et ses usages du texte et de l'image. Pourvu qu'on en conserve autre chose que l'anecdotique.



Alessandro Mercuri Holyhood. Guadalupe, California. — Art&Fiction, 2019, 212 pages, 12 €

(1) Une même figure "iconique" (ah, ce mot...), celle de l'apprentie-star qui solde un ratage complet par son suicide en se jetant de l'une des fameuses lettres de métal plantées sur la colline surplombant la ville, apparaît à la fois chez Mercuri et dans le roman sans grand intérêt de Christian Kracht, Les Morts (trad. Corinna Gepner, Phébus, 2018). Pour Mercuri c'est bien Peg Entwistle, personnage réel suicidé en 1932, Chez Kracht, c'est une Ida teutonne qui effectue le crash. L'anecdote est donc bien "iconique", ce qui veut donc dire banalement passe-partout ; elle aurait motivé Mulholland Drive d'un certain Lynch, empereur d'un certain kitsch.

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