Eloge des cafés

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Eloge des Cafés

Paris avait des cafés littéraires... Et des cafés artistiques.
Or, la littérature et l'art n'ont pu, avec les nouvelles exigences de la vie, s'offrir assez d'anisés, de cocktails, de demis — à peine plus grands que des quarts — pour faire vivre leurs cafés.
Ceux-ci n'ayant plus d'argent ont fait place à des banques.
Ainsi va, contradictoire dans ses résultats, la justice des événements qui passent et changent la face des choses.
Pourtant, Paris, a pu perdre quelques-uns de ses cafés pittoresques, sans cesser d'être Paris.
La publicité lumineuse, les décorations nouvelles des boutiques, les cinémas, les usagers et les usagères du trottoir ont modifié l'aspect et l'esprit du boulevard sans ralentir pourtant l'élan de curiosité qui pousse vers les vitrines des hommes et des femmes venus des quatre points de l'horizon cosmopolite.
Mais il en va autrement en province où des cafés souvent centenaires ont dû également céder leurs locaux à des établissements financiers.
On a, sans doute, copieusement blagué le café des Ailées ou le café du Commerce, tous ces établissements sans luxe excessif qui, chaque soir, réunissaient autour de leurs tables de marbre, les esprits forts et les fortes têtes de la localité.
Là se retrouvaient devant un Pernod bien tassé ou un mazagran-verre, ceux qui, par leurs jetions, ou leur seule volonté, faisaient la loi entre la rue de la Gare et la place de l'Hôtel-de-Ville en passant par l'avenue Gambetta.
Mais ce n'était pas seulement par leur action quotidienne sur la politique, la mode, l'administration municipale, la vie galante, que ces cafés avaient leur utilité.
Même modestes dans leurs proportions et discrets en plus derrière leurs caisses où poussaient, dans cinquante centimètres cubes de terre, des troènes peu convaincus ou des lauriers d'Espagne désabusés, ces établissement faisaient partie du décor urbain.
La nuit venue, quand tous les boutiquiers avaient rabattu leurs devantures de tôle ondulée, ils étaient , enfin, la tache de lumière nécessaire à l'ombre, l'appel jeté par la ville déserte et somnolente au voyageur désoeuvré et désorienté.
Ils étaient, en même temps, le sourire de la nuit provinciale, et comme la promesse timide d'un bonheur précaire, mais certain.
La porte poussée, l'homme le moins pourvu d'esprit d'observation découvrait tout à coup une image en raccourci de toute la ville dans les joueurs de manille ou de jacquet, dans les caramboleurs véhéments s'agitant autour du billard qui mettait entre eux la verdure plate de son tapis, agaçante comme un pré sans arbres.
Mais c'est surtout dans les grandes villes de province que la disparition de certains cafés peut être lourde de conséquences.
Ces cafés sont naturellement situés dans les voies les plus actives, celles où se retrouvent à l'heure des nouvelles et de l'apéritif ou du café d'après dîner, tous les veufs, tous les curieux, tous ceux aussi qui cherchent dans le spectacle de la rue un délassement à leurs soucis du jour.
Et voilà que ces belles promenades classiques de jadis, ces allées et ces boulevards perdent avec leurs cafés les plus belles de leurs parures.
Un café qui se ferme, c'est un oeil que l'on crève. C'est un peu plus de nuit dans un décor qui tirait de la clarté l'essentiel de sa raison d'être.
Et pourtant, ce décor, des générations l'avaient lentement façonné à la mesure de leurs habitudes et de l'amour qu'elles se transmettaient d'un plaisir qui prenait ses racines les plus solides dans les traditions locales. Je ne puis voir disparaître n de ces cafés centenaires sans un serrement de coeur.
La grande histoire s'annexe souvent leurs anecdotes et leurs échos. Ils ont vu les moeurs évoluer, passer les hommes et les éléments.
Ils sont restés... Pas pour longtemps !
Tout ce qu'ils gardent en eux du passé devrait les mettre au-dessus des hasards commerciaux.
On pourrait les classer comme monuments historiques.
Ou les subventionner...
Quand des banques nouvelles auront remplacé les derniers cafés, nous ne seront pas plus riches, sans doute: mais nous seront certainement moins heureux encore.
Le café, même celui du coin, faisait toujours un peu de lumière...
La banque, elle, peut remuer des millions à la pelle... Elle n'éclaire pas...

J. Valmy-Baysse



Paris-Soir, 2 janvier 1930.

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