La mort par Anne Lamort

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Extraordinaire ouvrage que celui d'Anne Lamort, la libraire d'antiquariat bien connue. Spécialisée dans les livres à thématique funèbre et dans les reliures macabres, elle nous offre le fruit de ses observations et de ses connaissances en la matière en s'appuyant sur l'ensemble de documents et d'objets réunis au fil du temps par un collectionneur belge, Frank Boucquillon, entrepreneur qui aura découvert les danses macabres imprimées avec le libraire de Bruges Marc Van de Wiele, les estampes avec le Bruxellois Claude Van Loock et, enfin, last but not least, les reliures de deuil avec Anne Lamort à Paris.
On en déduira la qualité de l'ensemble présenté. On conviendra d'emblée qu'il s'ajoute avec beaucoup d'à propos à la bibliographie macabre qui s'était enrichie déjà il y a deux ans du catalogue de l'exposition Même pas peur ! (Toulouse-Paris, Fondation Bemberg-Somogy-MAD, 2018) présentant de la collection de la baronne Henri de Rothschild (1874- 1926). Mais elle était, elle, essentiellement constituée d'objets, du netsuke en forme de crâne à l'épingle de cravate, assez loin de la culture livresque en somme.
Avec La Mort en faces, c'est un essai consistant qu'a construit Anne Lamort sur la représentation graphique de la mort à travers les âges, par le prisme de l'histoire du livre et dans son spectre le plus large. On y est accueilli par un superbe Memento Mori de Johan Johann Ridinger (1713-1784), glaçante figure de la mort en majesté coiffée d'un sablier ailé et foulant du pied tous "les symboles de la gloire, tiare, couronne, médaille, glaive, livre, palette de peintre..."

Omnia mihi subdita.

Suivie bientôt d'un squelette articulé en buis, les mains croisées semblant faire paisiblement la pause assis sur son cube de marbre, ou bien prenant patience, gentiment, en attendant notre trépas...
Et avec ce sourire, toujours, qui nous obsède.
N'est-ce pas, du reste, l'essentiel ?
Au-delà du recueillement auquel nous poussent les représentations, ne doit-on pas considérer toujours cet humour fatal, final, inéluctable que nous opposent — à tous — les représentations de la mort ?
Recueillement pour autrui, humour auto-centrée pour nous-même ? Une façon bien naturelle d'opposer la fatalisme enfin admis et intégré à la violence du déchirement définitif et de l'absence totale. D'Holbien à Wolgemut (1434-1519) en passant par l'enlumineur Amé de Montgesoie (vers 1500), Matheus Merian, Beham (1500-1550) ou Allaert Claesz, voilà où les artistes enfuis à leur tour conduisent nos pensées...
Mais il nous reste aussi la beauté de leurs oeuvres, leurs joyeusetés également, et les moqueries qu'elles autorisaient contre les puissants.
Et comme l'écrivait Anatole France, cité dans ses Poèmes dorés (1873) par Anne Lamort :

Dans les siècles de foi, surtout dans les derniers,
La grand'danse macabre était fréquemment peinte
Au vélin des missels comme aux murs des charniers

Une farandole de plus de deux cents reproductions de manuscrits enluminés, incunables, vanités de la renaissance, dessins, reliures macabres, livres d'artiste, estampe à système, gravures ou représentations sur cuivre, sur papier, sur bois, et toute la panoplie des memento mori perpétuent ce petit sourire narquois de la camarde — et parfois quelques vers rigolards ou élégiaques.
L'époque contemporaine n'aura pas été négligée par Frank Boucquillon, et en particulier l'école graphique germanique représentée par ses experts en camarderie Walger Draesner, Joseph Sattler, Schellenberg, sans oublier les Belges Walter Sauer, Otto Hans Beier, Stan Van Offel... On retrouve évidemment aussi des pièces fameuses comme La Danse macabre de Pierre Mac Orlan illustrée par Yan B. Dyl pour Simon Kra (1927), les Névroses de Rollinat illustrées par Henri Caruchet (1910), Georges d'Heilly et ses récits de morts royales (1867), Armand Rassenfosse, G.-O. Erler, Louis Legrand, Ivo Saliger, Masereel, Albert Lemant, et l'étonnant Jean Virolle auteur d'une Danse macabre saisissante de 1942. — Sans parler de l'ahurissante reliure sculptée de Jean Benoît sur un manuscrit de Breton et Soupault qui prouve qu'en matière d'esthétique les changements se succèdent. La reconnaissance du talent de Frédéric Guille du Kollectiv Tod (2007) le montre, comme les surprises dont regorge encore ce livre plein de symboles et de trésors.
Il ne manquera jamais d'esquilles d'os pour célébrer avec dignité les fastes et triomphes de la mort, Anne Lamort le sait parfaitement.



Anne Lamort La Mort en faces. — Knokke, aux dépens du collectionneur, 2020, 224 pages, cartonnage éditeur avec jour rond sur tête de mort, 500 exemplaires numérotés, 130 €


NB : l'illustration du présent billet constitue une interprétation de la couverture du livre et non sa reproduction.



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