Le destin difficile de l’homme soviétique...

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Jusqu’à mes cinquante ans, j’ai été dans mon pays un auteur interdit, sans aucun livre publié, allez savoir pourquoi. Mes pièces étaient montées clandestinement, mes nouvelles passaient de main en main. Qui gênaient-elles ? Les chefs du parti sans doute... On a même voulu me mettre en prison, pour avoir offensé le Présent (au moment où nos cahrs ont commencé à écraser les gens à Vilnius).
Or les gens ordinaires savaient très bien, sans l’aide d’une quelconque littérature, des choses sur leur vie que je n’osais même pas décrire. Mais surtout, je me disais que j’écrivais non pas sur la vie de l’homme soviétique mais sur celle de l’homme en tant que tel. Sur des sujets éternels. Partout dans le monde, chaque être souffre, est jaloux, tombe malade, devient vieux, meurt (comme les personnages de Maupassant, pensais-je). Il arrive à chacun de nous d’être heureux de temps en temps. Nombre d’entre nous aiment et parfois ont du mal à garder ceux qu’ils aiment auprès d’eux, il leur est dur de vivre dans la honte (souvenons-nous de Madame Bovary). Parfois, les parents supportent à peine leurs enfants devenus adolescents. certains s’en sortent mieux avec les bébés. Les enfants en grandissant ont du mal avec leurs parents. Je me disais que c’était là notre lot à tous. Et pourtant on ne me publiait pas. Mais les années ont passé. Et les portes ont fini par s’ouvrir, on a commencé à m’éditer — y compris à l’étranger. Mes livres sont sortis dans vingt pays. J’ai reçu beaucoup de prix. Et qu’est-ce qu’ils m’ont dit, les critiques étrangers ? Que j’écrivais exclusivement sur le destin difficile de l’homme soviétique. Chez nous, tout particulièrement, les gens tombent malades, meurent, divorcent et souffrent. il n’y a que chez nous qu’on tombe follement amoureux, sans pouvoir espérer que cela soit réciproque. Il n’y a que chez nous qu’on met fin à sa vie en se suicidant. IL n’y a que chez nous qu’on boit. Uniquement en Russie ! Tant et si bien qu’en Occident on me publie de moins en moins, alors que chez moi les tirages dépassent le million d’exemplaires (...).




Ludmila petrouchevskaïa La Petite Fille de l’Hôtel Métropole. Traduit du russe par Macha Zonina et Jean-Pierre Thibaudat. — Paris, Christian Bourgois éditeur, 2009, 181 pages, 18 €

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