Derniers coups de griffe

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Patrick Reumaux dont on ne taira jamais les hautes capacités, publie dans la collection "Haute Enfance" un livre sicilien.
On le savait de Normandie, tout hanté des campagnes anglaises et des chemins dhôtelliens, et depuis la publication des Dieux habitent toujours à l'adresse indiquée (Vagabonde, 2018), on ne s'étonnera pas qu'il croise aussi au pays des citrons et, c'est à parier, en terre de tarentelle. Sa curiosité de cet homme est sans borne, et nulle situation humaine ne semble lui déplaire, pour peu qu'une légère claudication de l'âme trouble un peu l'air alentour.
La Sicile de Giuseppe Tomasi di Lampedusa (1896-1957), Grand d'Espagne s'il vous plait, est de ce point de vue terre bénie. Il y a planté sa tente en face des vestiges de la grandeur de la famille dont le romancier fut l'un des Derniers Guépards...
Comme toujours chez Reumaux, dès les premières pages, c'est vertige et tonitrue (1), provocation et jeux de culture ou d'esprit. C'est riche toujours, et, en l'occurence, parfaitement Shakespearien. On s'en étonne d'abord, et puis l'on s'aperçoit que l'oeuvre si courte de Lampedusa comporte un roman posthume, quatre nouvelles posthumes et une poignée d'articles sur de grands auteurs tels que Shakespeare ou Byron.
Naturellement, c'est Le Guépard (1958) qui a pris toute la place sur la photographie posthume, c'est son chef-d'oeuvre, Il Gattopardo, édité après moult refus par grâce à Giorgio Bassani, rendu éclantat au cinéma par Visconti. Et chez Patrick Reumaux, le guépard est rejoint par le lycanthrope, aussi sûrement que les époux sont volages et l'aristocratie du Sud de l'Italie en voie de s'effilocher... Ainsi qu'il l'écrivait à sa femme en janvier 1942,

"les héritiers, qui forment un élégant et remarquable ramassis de gens : un tiers d'imbéciles, un tiers de cinglés, le reste : des escrocs".

Le propre Palazzo Lampedusa est bombardé par les alliés le 5 avril 1943, et c'est un pas de plus vers le néant. Il matérialise, si l'on veut, et Patrick Reumaux qui connaît si bien l'odeur des champignons ne peut pas se tromper, un monde sur le départ où le prince Lampedusa, abasourdi sans doute, privé de sa mère par la mort, protégé de la vie grouillante des humains par la lecture de la littérature, s'en tient à une aboulie peuplée de songes. Biographie d'ambiance, si l'on peut dire, Les Derniers Guépards ne forment pas le moins surprenant des Reumaux. Il pourrait être une introduction à ses autres écrit et ne craignent pas l'originalité d'un incorrigible galopin, qui partage avec son sujet le goût des lettres et cette aristocratique manière d'aborder la vie et les livres, avec élégance et panache — bien fourni et long le panache.

Patrick Reumaux Les Derniers Guépards. — Paris, Gallimard, "Haute Enfance", 158 pages, 18 €

(1) Bravo, oui, vous avez remarqué, c'en est un. (Pour les autres, on aurait pu écrire "tonnerre", mais on a préféré pondre ce néologisme pour donner une idée plus conforme de la prose capricante de l'auteur.)

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