Marcel Batilliat 1930

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On ne voit guère souvent son museau : voici M. Marcel Batilliat.
Il répond ci-dessous à une enquête de Mary Léolpold-Lacour au sujet de la radio :


Marcel Batilliat, homme de lettres

J’admire avec enthousiasme tout ce que le génie inventif de l’homme peut arracher à l’inconnu pour créer du bien-être et pour embellir la vie. Les grandes découvertes récentes qui m’émerveillent le plus sont l’application lumineuse de l'électricité, l’aviation et Je fais quelques réserves en ce qui concerne l’automobilisme ou plutôt la généralisation de son usage. Je m’incline cependant puisque la majorité de mes contemporains y trouve sa commodité ou son plaisir quotidien. Mais l’envahissement frénétique de nos cités et de nos paysages a aboli ces deux joies exquises de naguère : la contemplation et la méditation.
Quelques réserves aussi quant à l’industrialisation du tourisme : il est incontestable que le tourisme actuel, dénué de fantaisie et d’imprévu, n’a pas l’agrément du voyage tel que nous l’avons connu autrefois.
Enfin, le cinéma ne m’a pas tout à fait conquis, et je ne le fréquente guère, à cause de la médiocrité de son répertoire. Celui-ci a ramené au premier plan tout ce qu’en avait banni le goût des élites : le vaudeville et le mélodrame, les situations factices et la psychologie sommaire. Mais ces possibilités d’avenir sont magnifiques et infinies. Un temps viendra où le cinéma sonore répandra partout les chefs-d’œuvre de toujours : on pourra alors admirer en tous lieux, dans leurs plus parfaites interprétations, Sophocle et Racine, Shakespeare et Schiller, Ibsen et Henry Bataille, Wagner et Debussy. Ce jour-là, le cinéma aura transformé le monde.
Quant à l’aviation, conquérante de l’espace, je lui dois les plus beaux enthousiasmes de ma vie. Et la radiophonie, qui supprime les distances entre les hommes et qui met à la portée de tous une connaissance universelle, est, à l’égal de l’imprimerie, la plus précieuse découverte qui ait jamais été faite.
Mais savez-vous ce que je suis tenté de reprocher à nos réalisations modernes ? Ce sont les termes affreux dont elles déparent notre belle langue française. Sauf le mot avion, qui est heureux, et qui s’accorde vraiment avec ce qu’il veut désigner, tout l’assemblage de vocables grecs juxtaposés et mal francisés que la mécanique ou la pathologie introduisent dans la conversation contemporaine, nous impose un mode d’expression aussi barbare que lyrique. Ne pourrait-on pas créer des mots aimables, chantants, imagés, avec de gracieuses désinences ? Ce n’est pas irréalisables : songez aux noms adorables que Fabre d’Eglantine avait donnés aux mois républicains.... Tandis qu’il est impossible d’introduire les néologismes scientifiques dans une page de haute littérature : ils défient le rythme et la rime... Je souhaite, pour les inventions qui nous passionnent et qui embellissent notre existence, des noms qui nous permettent de les célébrer avec amour.


Lumière et Radio (Carlos Larronde dir.), 10 octobre 1930.

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