Messac inédit

MessacArdinghera.jpg


Plaisante remontée dans le temps avec le journaliste et romancièer docteur ès-lettres Régis Messac, l'auteur de Quinzinzinzili bien connu des lecteurs de l'Alamblog, qui nous livre une de ces surprises que l'on apprécie : un roman inédit exhumé des pages de la presse d'autrefois.
C'est sous le nom de Gontran Lenoir que Messac, par ailleurs journaliste (il avait signé des chroniques entre 1920 et 1923 dans La Liberté), s'était lancé dans la confection de romans-feuilleton. A partir du 15 mai 1931, il plaçait dans Le Quotidien les épisodes de son roman de détection Ardhingera (il avait un penchant pour ce genre de titres un peu alambiqués) aujourd'hui remis en circulation. Il y en eut d'autres d'ailleurs, comme Le Mystère de Monsieur Ernest (1928) ou La Taupe d'or (1935) que l'on s'attend à voir paraître un jour ou l'autre dans un volume. L'opération ne serait pas inutile car outre leur caractère historique (Messac n'est pas n'importe qui), ces récits distrayants se révèlent pleins d'information pour l'étude de son oeuvre.
Le seul cheminement auquel conduit le meurtre d'un homme en pleine gare Saint-Lazare est riche d'indices sur la nature du projet de Messac. Son personnage même, Benoît Bandan au nom si vert, est un vaillant intellectuel trentenaire - donc énergique - rejouant Sherlock sans violon ni opium, affublé d'un faire-valoir manifestement lourdaud.
De fait, Benoît est le relais de notre docte auteur (2) pour apprendre des tas de petites choses sur le monde de l'hippisme, du cirque, de la police ferroviaire (on reconnait d'ailleurs là le tic précisionniste d'un Manchette listant les marques d'armes et de voitures utilisées par ses personnages) - sans négliger ce recours à l'argot britannique que Messac connait très bien - c'est un exotisme charmant dans la France des années 1930. Nourri d'un humanimisme qui a le cuir dur (1), Messac promène en filature dans le Métropolitain, en gares parisiennes, en gares de banlieue, en taxi, son Ardinghera, du nom d'une protagoniste sculpturale, amazone d'autrefois, occasion d'un retour sur la vie économique du cirque, et, à la limite du subconscient, effleure le freudisme au sujet duquel il semble se retenir encore :

Ce souvenir reste enfoncé dans leur subconscient. Il faut l'en faire sortir, en leur posant la question nettement et directement.

Sans s'attarder sur un cas de physiognomonie assez étrangement sorti sous la plume de Messac, il faut retenir une page de sociologie de la lecture comparée :

Remarquez que je ne critique pas Sherlock Holmes, ou Conan Doyle si vous aimez mieux. Ce moyen-là doit être réellement pratique et efficace en Angleterre ; là-bas, les trois-quarts des habitants passent leur soirée engoncés dans leur fauteuil (épatants, d'ailleurs, les fauteuils anglais !) à savourer leur journal en même temps qu'un verre de bière ou un whisky soda ; et ils absorbent la boisson jusqu'à la derrière goutte et le journal jusqu'aux réclames des marchands de chaussures inclusivement. Avec ce système, il est évident que le contenu des petites annonces leur parvient. Mais ici, combien connaissez-vous de Français qui lisent leur journal de bout en bout ? Un journal, ça ne se lit pas, ça se parcours. On jette un coup d'oeil sur les manchettes, on lit hâtivement les articles qui vous intéressent, en sautant une ligne sur trois, et quand on arrive aux annonces, on jette le "canard" sur ou sous la banquette du train de banlieue. Il s'agit de banlieusards, notez bien.


Pour conclure, laissons la parole au faire-valoir, qui aura beaucoup trotté :

Fantastique ! dit le commissaire, emballé malgré lui. Eh bien ! vous pouvez vous vanter de ne pas être comme les officiels : vous en avez de l'imagination !




Régis Messac Ardinghera, présenté par Jean-Paul Morel et Guibert Lejeune. - Montreuil, La Grange Batelière (8, rue Voltaire), 2021, 232 pages, 16 €

et toujours
Régis Messac Quinzinzinzili, L'Arbre vengeur, 200 pages, 13 € ; "La Petite Vermillon", 208 pages, 7.10 €
sans oublier les nombreuses éditions et rééditions des amis de Messac chez Ex Nihilo.

Ardinghera1.1.jpg

(1) N'est-ce pas Maurice Pons qui déclarait avoir souhaité devenir écrivain après avoir rencontré Jules Romains dans une gare ?
(2) Il n'est pas le seul : les éditeurs nous apprennent mille choses sur l'utopie quasi éponyme d'Ardinghello et les îles de la félicité, histoire italienne du XVIe siècle de Wilhelm Heinse (1746-1803), sur la topo-graphie et -nymie parisiennes.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : http://www.alamblog.com/index.php?trackback/4946

Haut de page