Henri-D. Davray (1925)

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Soirs de Paris et de Londres

Quitter Londres par un matin brumeux d'automne est en soi un plaisir, Le trajet à travers les douces ondulations de la campagne anglaise devient une récréation.
Les rousseurs des feuillages sont un ornement somptueux sur les verdures dès champs. Le bateau s'éloigne des falaises blanches, vite ailées de brumes, et déjà le soleil n'évertue à teinter de bleu les grandes lames grises. Au loin, au-dessus de la France, la lumière raccroche à des masses éblouissantes de nuages cernés d'azur. On débarque : douane, passeports, dernière étape du trajet, dans le grand train qui, d'une traite impétueuse dans le paysage si familier, amène ses voyageurs à leur destination : Paris.
Impression de se retrouver chez soi, dans un ensemble qui enchante, qui séduit, pour lequel on éprouve une sympathie émue. Quelle différence avec ce que l'on a quitté quelques heures plus tôt ! Londres le soir : Paris le soir. C'est la même vie, et c'est tout autre chose. Dès avant de quitter la gare, on le constate. La foule qui se hâte vers les trains de banlieue, ni par l'allure, ni par le vêtement, ni même par l'expression des visages ne ressemble à la foule londonienne qui, à la même heure, a quitté elle aussi des bureaux et des magasins, des ateliers et des boutiques où elle s'est livrée aux mêmes travaux que la cohue parisienne.
La rue, bien différente, elle aussi. Gomme à Londres, elle a une chaussée et des trottoirs ; elle est bordée de magasins et de boutiques ; des passants, des taxis, des autobus, des véhicules de toute espèce l'encombrent, avec les mêmes embouteillages — et mille détails font que ce n'est pas la même chose. Le policeman, le « bobby », avec son casque de cuir bouilli, à la double visière, engoncé des pieds à la tête dans son ciré s'il pleut, assure le trafic, lentement, placidement, d'un simple geste de la main, et, dans les endroits mal éclairés ou trop grouillants, il recouvre son bras d'une manche d'étoffe blanche, comme la manchette de lustrine d'un comptable. C'est une façon de remplacer le bâton blanc que certains agents parisiens brandissent avec d'imprévues fioritures. Ici les sobriquets de l'agent sont injurieux, hostiles ; ceux du policeman sont railleurs et bienveillants.
Paris le soir : cité lumineuse ; et Londres, métropole démesurée, panachée de taches flamboyantes, comme des paquets d'ouate rousse, au cœur des faubourgs, à Hammersmith ou a Elephant and Castle. Au centre, quelques brasiers aux immenses réclames électriques mouvantes, et, rayonnant de là, quelques voies tapageuses par l'éclat des globes, lampes, projecteurs de tout calibre se rejoignent par de brusques détours, se séparent et vont se perdre dans les ténèbres de quartiers qui ne vivent que dans le jour.
Paris le soir : ordre, équilibre, harmonie, bon goût. Pas d'excès de lumière aveuglante, partout belle clarté qui laisse aux avenues aux places, aux monuments, leurs proportions et leurs valeurs : la pla-ce de la Concorde, les Champs-Elysées, l'Opéra et le crépuscule violet de sa façade.
Cependant, sur les Boulevards, les enseignes lumineuses s'enchevêtrent, les réclames s'exagèrent, mais au moins n'y voit-on pas ces grandes images naïves jusqu'à en être burlesques, de l'auto: qui roule sur place, du cycliste qui pédale sans avancer, du bébé qui pleure, tète et sourit tour à tour inlassablement, du chien qui fume une cigarette qui ne se consume jamais, de la bouteille qui remplit toujours le même verre, et du cocktail secoué sans répit. C'est à fuir Piccadillv.
Mais ne comparons pas la Tamise et la Seine : laissons au voyageur ses préférences. Un Parisien reviendra toujours à ses quais, il cheminera sous leurs beaux arbres, franchira les ponts aux perspectives uniques, errera dans cet autre Paris de la rive sud jusqu'au Montparnasse cosmopolite et il laissera Montmartre aux Américains et aux métèques à change élevé. Des terrasses des cafés il suivra le passage incessant de la. vie, oisive ou active, flâneuse ou pressée, avec tout ce que les gestes et les visages révèlent. Pèlerin passionné qui se retrempe aux sources de son être, le Parisien goûtera le retour à sa ville comme aucun visiteur ne peut le faire.

Henri-D. Davray.
Paris-Soir, 20 novembre 1925

Dans le même numéro :

Henri-D. Davray
Le grand Wells a dit de H.-D Davray :
— Le tunnel sous la Manche existe. Ce tunnel, c'est Henri-D. Davray.
En effet, peu de Français ont aussi souvent que lui franchi le détroit. Il entretient des relations quotidiennes entre le monde littéraire parisien et les écrivains de Londres. Il est un de ces hommes trop rares qui ont pris pour tâche d'établir la liaison entre des génies nationaux différents.
Autrefois, H.-D. Davray habitait la France. Maintenant, il a délaissé la Seine pour la Tamise.
Il est devenu un peu anglais d'aspect et d'esprit. Il est resté de chez nous en demeurant spirituel et en conservant un coeur chaleureux.
Cet internationalisme est la réalisation d'un plan de vie qu'il avait déjà formé il y a trente ans.
C'est lui, en effet, qui fonda la collection d'auteurs étrangers publiée par la librairie du Mercure de France. C'est lui, grâce à qui furent connus chez nous des hommes tels que Kipling, Wells, Conrad, Meredith, Thomas Hardy, J.-M. Barrie, Walt Whitman, Mark Twain.
Il traduisit leurs ouvrages.
N'oublions pas aussi que nous lui devons la traduction de la Ballade de la Geôle de Reading et du De Profundis d'Oscar Wilde.
Il n'est pas qu'un traducteur.
Dans de nombreux périodiques, il a publié des essais, des nouvelles, des poèmes de contemporains anglais et américains. Il a composé des volumes entiers d'articles sur les auteurs d'au delà de la Manche et d'au delà de l'Atlantique.
Mais ce n'est qu'à titre de réciprocité car, dans les journaux de langue anglaise, il a signalé abondamment des écrivains de chez nous.
Beaucoup de gens parlent de la nécessité de faire connaître les peuples les uns aux autres pour que ces peuples en arrivent à s'aimer. Mais ils se contentent d'en parier. Henri-D. Davray fait mieux : il agit.
Paul REBOUX.

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