Toute petite déjà, Sally Bonn écrivait. Et ça ne s'est pas arrangé. Devenue commissaire et professeur d'esthétique, elle a fait un livre de son habitude où, de saynètes en scènes, de situations en notions, de concepts en postures, elle décrit écrire par le bout de la pointe Bic. Il est vrai que c'est fascinant. Elle en arrive même à se dessiner une esperluette sur le poignet (photo) tout en faisant l'éloge d'Emile Javal, ce vieil Emile (1839-1907), et de sa Physiologie de la lecture et de l'écriture, suivie de Déductions pratiques relatives à l'hygiène, aux expertises en écriture et aux progrès de la typographie, de la cartographie, de l'écriture en relief pour les aveugles, etc. (Paris, Félix Alcan, 1905), et ça c'est trognon. Mais elle n'arrive pas, et c'est tout aussi remarquable, à écrire le nom de ses contemporains, désignant sans les désigner "une philosophe", "Une artiste", "Une romancière"... Le nom de l'autre, s'il est un organisme vivant, peine à s'écrire. A "être écrit" donc. C'est étonnant, notamment quand on écrit ici, à propos de Robert Walser, nommé en toutes lettres, lui qui faisait des traces de pas dans la neige comme des signes :
Il faut demander aux morts ou aux absents, aux inconnus des livres pourtant connus par leurs mots, leurs phrases, leurs pensées, leurs noms. IL faut s'entretenir avec eux comme avec chacun. C'est une communication des esprits. Ils finissent par faire partie des proches, nous montrent la voie.
Le critique constate dès lors que les vivantes ne font donc pas tout à fait partie des proches. Il ne peut s'empêcher de trouver ça un peu plus que bizarre. Disons au moins suspect.
Et le critique note la très, très jolie couverture rouge empruntée aux murs récemment découverts à Pompéi. On ne sait pas non plus le nom de la dame au calame représentée, mais elle a l'air inspiré. Ses yeux écarquillés roulent comme des billes.
Sally Bonn Ecrire, écrire, écrire. - Arléa, 2022, 178 pages, 17 €