Vagabonde

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La littérature prolétaire japonaise aura mis un certain temps à émerger des brumes du temps. Depuis 2009 et la publication du Bateau-usine de Kobayashi, tout un pan de l'activité militante japonaise, bien connue des lecteurs du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier de Jean Maitron, qui avait consacré au Japon un volume à part, paraît à nos yeux. Et, toujours promptes à nous faire un plaisir, les éditions Vendémiaire proposent une des pièces les plus intéressantes de cette littérature d'expérience et de combat en la personne de la Vagabonde d'Hayashi Fumiko, laquelle n'a rien à voir, on s'en doute bien, avec les vagabonderies de Colette.

Avec l'approche de la nuit, l'absence de lieu où je puisse trouve une sérénité me déprimait, c'était un monde où je ne pouvais m'empêcher d'être angoissée. C'est de la santé de notre corps que dépend toujours le travail.
Les fils électriques faisaient un bruit effrayant avec le vent.

Sous l'influence de la littérature russe de Tolstoï ou d'Artsybachev, la jeune Fumiko issue d'une famille de petits marchands s'engage dans la vie professionnelle en multipliant les petits boulots (ouvrière dans une usine de jouets, vendeuse de rue, entraineuse, bonne à tout faire, etc.) et tient un journal. Romancé un peu, celui-ci et forme son premier livre qu'elle publie à l'âge de vingt-cinq ans. Il récolte un succès phénoménal - d'où notre incrédulité face à son absence de nos étals, soit dit en passant. Franc du collier et nettement illustratif, son "roman" est tout autant texte littéraire que documentaire.

J'étais étendue en travers du futon, et des rayons du soleil du matin filtraient par la fenêtre du toit, formant des irisations de poussière qui se déversaient sur ma tête. La révolution, où trouvera-t-elle moyen d'éclater ?... Les libéraux japonais se saoulaient de mots intelligents. Les socialistes japonais ne se berçaient-ils pas de doux rêve ?

On y trouve un Japon entre deux eaux, traditionnel mais usé, comme ces kimonos que les familles pauvres lavent et relavent sans fin, au point qu'ils perdent leurs couleurs. Ce qui n'en a pas perdu, en revanche, ce sont les propos de la femme engagée qu'était Fumiko Hayashi. Personnage du monde de la nuit et de la vie militante d'extrême-gauche, elle peint ces mondes dans ses nouvelles et ses poèmes (que nous lirons peut-être un jour, si les dieux sont bons) avec une liberté de ton qui témoignent de son époque, ces années vingt ou le prolétariat s'écrasait contre la modernité et les techniques nouvelles.

Est-ce que je pourrais retourner au café comme avant, me demandais-je, et je regardais le kimono en soie sur le mure, épuisé comme moi, plongé dans l'eau d'innombrables fois, devenu complètement terne. Il n'y a rien. C'est dangereux, dangereux, dangereux d'être paresseux et d'avoir en mains une bombe, et de la jeter joyeusement dans le coin ! Une telle femme, plus que de vivre seule inconsciemment, mieux vaut qu'elle meure au plus vite à deux.

Le suicide romantique n'était décidément pas, au Japon, un folklore...



Fumiko Hayashi Vagabonde, traduit du japonais par René de Ceccatty. - Paris, Vendémiaire, coll. "Compagnons de voyage", 180 pages, 20 €

Pour mémoire : Takij Kobayashi Le Bateau-usine, traduit du japonais et présenté par Évelyne Lesigne-Audoly. - (Paris), Yago, 2009 ; des rééd. existent. Takiji Kobayashi Le Propriétaire absent, traduit et postface par Mathieu Capel. — Paris, Amsterdam, 2017, 226 pages, 13 € Takiji Kobayashi Le 15 mars 1928. Traduit du japonais par Matthieu Capel. - Paris, Amsterdam, 12 €

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