Iochka déchire tout

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Rencontré à Bucarest, lors de Gaudeamus, la fête du livre semestrielle, Christian Fulaș est un peu surpris par le succès de sa traduction française, réalisée par Florica et Jean-Louis Courriol. Traducteur d'A la Recherche du Temps perdu en roumain, éditeur et romancier, Christian Fulaș a publié avec Iochka son troisième roman. Il y a dresse le paysage humain d'une vallée boisée, un peu isolée à travers le parcours de quelques personnages remarquables (un géant contremaître, un pope en side-car, un homme à tout faire et sa compagne, etc.) soumis au climat et à la visite des potentats du régime dur (on est en Roumanie il y a quelques décennies).
Extrait :

Tu peux pas savoir, mon brave, disait l'autre, comment que c'est avec ces messieurs, paraît qu'il arrête pas la nuit et le matin, ils boivent du sang pour se requinguer et ils deviennent alors tout feu tout flamme. C'est ce que tu crois ? a dit le contremaître tout sourire. Je sais pas dire, car c'est peut-être péché, mais il doit y avoir un peu de vérité, même que j'ai entendu dire qu'ils ont de grandes maisons comme celles des nobles qu'ils ont chassés, et des vergers et des grandes propriétés. Et nous, ils nous tiendraient dans la pauvreté sciemment, mon pote ? Non, moi je dis qu'ils savent pas qu'on manque de tout et même d'espoir car personne ne le leur dit, trop occupés à nous parler de ce bien qu'est dans leur tête et oubliant à qui ils parlent. Possible qu'ils oublient, mon Iochka, mais ils doivent bien voir plus loin que nous, à moins qu'on se trompe, et que c'est nous autres qui sommes bêtes et ne pouvons rien savoir ? Restons bêtes ici, dans notre monde à nous et qu'ils nous laissent tranquilles, vivre nos petites vies, lui a répondu alors Iochka, offusqué, t'entends ça, se pointer sans crier gare dans la vallée, effrayer les gens et leur raconter qu'ils ne savent pas ce qu'on construit et que brusquement ce putain de truc doit absolument nous intéresser nous autres. Non, mon vieux, paraît qu'il va comme ça partout "sur le terrain", il visite le pays en voiture et descend brusquement quand celui lui chante, pour y voir de plus près, il discute alors avec les gens et il est content pour de vrai, il paraît qu'il est un peu dada, un peu comme ceux de l'asile d'â côté. Tu crois ? - Ben, c'est clair qu'il faut être un peu dingue pour pas arrêter de battre la campagne sous la chaleur et la canicule au lieu de rester au drais sans son palais et de jouir de toutes ses richesses, vraiment dingue, oui. Mais tu sais, à dit Iochka, peut-être bien qu'on ne peut pas être un monsieur, un type important si on n'est pas un peu fou, avec un papier signé par un docteur comme le nôtre, de l'asile d'ici, non ? Possible, possible que tu aies raison, à répondu le contremaître, peut-être que tous les autres, à part nous, sont fous, j'ai déjà remarqué parfois qu'ils ne sont pas très nets.


Si l'on n'aborde pas tout à fait les mêmes contrées que celles de Hrabal, plus truculent, on trouve chez Fulaș une attentive observation du temps, du silence, de l'amour et des rapports entre les êtres. On ne s'étonne donc pas trop, sur notre île, de son succès dans notre langue.


Christian Fulaș Iochka, roman traduit du roumain par Florica et Jean-Louis Courriol. - La Peuplade, 560 pages, 23 €

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