Robert Morel (1971)

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Dans les Nouvelles littéraires du 25 juin 1971, l'éditeur Robert Morel répondait à quelques questions de Jean Montalbetti.
Résumé succinct du propos de ce personnage dont l'esprit hante encore les environs de Forcalquier, les collines de Giono et de Maximilien Vox.

Un éditeur vous parle
Mon grand était cordonnier, mon père était fonctionnaire, j’étais écrivain. c'est comme cela qu’on devient éditeur.
J’ai demandé la maquette de mon premier livre à Le Corbusier. La seconde à Odette Ducarre. Les suivantes aussi. Elle construit nos livres , comme elle construit ses maisons.C’est ma femme. (...) L’architecture est la clé du monde moderne. La cuisine, le jardinage, la politique, le cinéma, l'amour... C’est toujours gouverné par l'architecture, pour que ça marche !
(...) C’est bien plus facile de bâtir des livres en pleins champs. Besoin d’espace et de références naturelles. Du vrai soleil, de la vraie pluie, de vrais arbres, de la vraie terre...
(...) Les difficultés de l’édition proviennent du système. C’est l’institution qui est pourrie. Il y a 4 500 libraires en France. Je tra vaille régulièrement avec 350... qui meurent tous les jours. Les libraires, il n’y en a presque plus. C’est comme les pharmaciens. Alors pourquoi se cramponner après ce vieux système de distribution, monopolisé par trois groupes qui font la loi, alors que le livre pourrait trouver le lecteur par d’autres voies ?
(...) Je sais que je suis marginal, mais mon rêve serait de ne pas vendre mes livres. J’aime les fabriquer. Pas les vendre. Ce devrait être gratuit.
(...) C’est le corps d’une pensée, d’une histoire, d’une émotion... Un corps vivant, actuel, contemporain. Nous sommes à l’opposé du livre-objet.
(...) Je ne cherche pas à épater les gens en créant des formes nouvelles. Mais il faut être logique et vrai. Est-ce que vous imaginez un livre sur les soupes rectangulaire ? La soupe, c’est rond, ça va de soi. La soupe, c’est la soupière, c’est l’écuelle, c’est la louche, c’est le ventre... (...) Je n’ai rien inventé, vous savez. Pénard y Fernandez avait dans sa bibliothèque un livre triangulaire du XVIIIe siècle ; le chansonnier de Jean de Montcheau, en1460, avait la forme d’un cœur ; Giorgio Pilone avait demandé à Cesare Vecellio, cousin du Titien, de peindre les tranches de tous ses livres préférés qu’il rangeait dos au mur ! Je suis, comme vous le voyez, dans la tradition du livre.
(...) Les libraires qui vendent du Morel en sont amoureux. Les lecteurs sont tout pour ou tout contre. Nous les connaissons assez bien. Ils m’envoient des pots de confiture ou des saucissons franc-comtois. Mlle Kolher, de Strasbourg, m’a envoyé un kouglof !
(...) Ce sont les jeunes, les très jeunes auteurs qui viennent chez nous. Ils ont l’impression qu’on va faire attention à eux ; qu’on est des personnes, pas des machines à écrire ni des ordinateurs.
(...) D’abord je ne publie pas que des jeunes : Delteil, le curé d’Ars, André de Richaud... Mais tous mes auteurs sont neufs et donnent envie de vivre sans restriction : François Solesmes, Pierre Caminade, Joseph Joliet, Marthe Meyer. Ce ne sont pas des auteurs-objets. Lisez L’Amante, Le Don de merci, Le Repas d’os ou Axel ; des chefs-d’œuvre ! Je les publierai toute leur vie.
(...) D’autres dont on ne parle pas encore : Claude Breuer avec Une journée un peu chaude, Enamel Cassoli avec Jeffersonnie, Marie-Noële Pelloquin avec Le Livre-mère. Pourquoi n’auraient-ils pas le Goncourt eux aussi ? Moi aussi ?




Légende de la photographie : Robert Morel. Il veut rester un aventurier

Robert Morel sur l'Alamblog : 1950.

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