Mille Bornes et plus

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Il aura su patienter, Dubalu, car sa réédition aura traînée dans des tiroirs variés depuis des semestres. Toujours à l'initiative d'Edouard Jacquemoud, qui s'est fait l'agent du représentant de commerce le moins fameux de la littérature française du siècle dernier. Le nommé Dubalu donc, jailli sous la plume d'un... VRP de la maison Gallimuche, publié par la maison Gallimuche comme il se doit, à une époque où se cherchait de jeunes plumes d'avenir et d'envergure. En particulier dans la collection "Jeune Prose", celle qui manqua publier Yves Martin, comme les Alamblogonautes se souviennent bien.
Dubalu, pour la faire courte, est un représentant de commerce plein d'audace et de bonne humeur qui s'échappe pour prospection sur de lointaines routes de France. Il est excité par le départ, enthousiasmé, grandi en son for intérieur. Il démarre à coup de petits blancs dans son café habituel, pour se lancer, puis, les kilomètres s'additionnant, il lève le pied et finit par s'accorder une après-midi de farniente...
Et l'on sait ce que vaut le farniente au travailleur... Le Medef nous l'explique de long en large.
Et l'on vous laisse deviner en particulier ce que cela produit chez un représentant de commerce...
Comme nous l'explique au terme du récit Carl Aderhold - qui semble l'avoir connu sans apporter beaucoup du lumière sur cette point d'ailleurs -, Bernard Waller (1934-2010) était un personnage un peu lunaire, débonnaire plutôt. Il a tout de même publié une dizaine de livres (dont on parlera une autre fois). Des livres qui l'apparentent parfaitement à cet autre nuageux sympathique que fut l'Helvète Pierre Girard, lui aussi discret à l'extrême, lui aussi négligé longtemps, lui aussi redécouvert... Ce petit récit délicieux de Dubalu - lu dans un souffle - appartient cependant à une tradition, celle qui depuis des siècles nous peint des personnages en rupture de banc. Partir, s'évader un peu, beaucoup, profiter de la vie, s'interroger sur soi, sur son parcours, sur son karma... Avec Waller, représentant élégant d'une firme qui joue à l'élégance, on voit assez le tableau. C'est un peu la Mort d'un commis voyageur, sans le trépas. L'humour et les jeux de langue (néologismes surtout) en plus, et c'est ce qui a dû plaire à Raymond Queneau qui, dit on, fit l'ouverture pour que se publie le petit livre. Dubalu, c'est aussi ces êtres en malaise que nous ont peint plusieurs générations d'écrivains au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Ils sont légions, parfois très sombres. Chez Waller et ses pairs, ils sont plutôt légers, mais pas creux, avides de liberté, mais pas complètement suicidaires, sensibles à l'air mais pas frileux... Au fond, ce sont des Oblomov occidentaux d'après-guerre (on ne trouve pas du tout les mêmes entre 1918 et 1939). Ils finiront, une paire de décennies plus tard, par exemple sous la plume de Jean-Pierre Martinet ou d'Elisabeth Gaspar (Les Grilles du Parc, rééd. 2022) par commettre l'irréparable.
Lui, Dubalu, il tient plutôt de Jacques Tati, tout en douceur, léger. Verre à la main, faisons le pari qu'il est aussi le frère en littérature des créatures du cinéaste Otar Iosseliani.

Demain un petit extrait...

Bernard Waller Dubalu. Témoignage de Carl Aderhold, préface de Jérôme Leroy. - Montreuil, La Grange Batellière, 2024, 96 pages, 15 €

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