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Le rire et l'art (1920)

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Le Rire et l'art La fantaisie, l'ironie, l'humour sont actuellement en faveur, et l'on a essayé maintes fois de les définir. Mais il semble qu'il soit nécessaire, pour approfondir la nature de ces espèces du comique, d'éclairer leur genre commun et de poser à nouveau le problème du rire.  […]

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« Flairer en tout le Divers » (Victor Segalen)

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Largement documentés et fort illustrés, les catalogues de Pierre Saunier émoustillent depuis longtemps les bibliofilous et gens d'espèce approchante. Il est rare, pour dire vrai, de lire autant et avec tant de plaisir les notices savantes et joliment rédigées d'ouvrages anciens peu courants, voire  […]

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Le sort de Camille (Claudel contre Claudel)

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Que les histoires de famille sentent fort. Et qu’elles sentent longtemps…

Les histoires de famille bourgeoise ont cela de plus que les autres - forcément - que leurs motifs sont notablement hypocrites, mais restent aussi sordides que les secrets de la paysannerie - Le Monstre de Gaston Chérau nous renseigne sur le sujet… L’être humain est consternant d’instincts, de redites, de banalité, et en cela la bourgeoisie est aussi vulgaire que le vulgaire. Sauf que, confite dans la bienséance et l’abus perpétuel de position dominante et de pouvoir, la bourgeoisie ne déchoit pas. C’est du reste son souci premier, sa mission essentielle, sa raison d’être. C’est bien peu. A quoi sert donc la bourgeoisie ?

A la carrière du fils et à la bienséance, évidemment.

Ah, la carrière du fils ! Que la bourgeoisie n’a-t-elle sacrifié aux carrières de ses fils…

Dans le cas de la famille Claudel, c’est Camille que l’on aura sacrifiée. Elle était la mauvaise tête, l’aventureuse, la tempétueuse, l’originale. Et elle a couché avec Rodin hors des liens du mariage… Paul, lui, était le bon grain, confit en dévotions, entré dans la Carrière (d’où l’on n’extrait nulle roche), poète de la maison NRF. La Carrière, voyez-vous — et la carrière littéraire donc ! — ont des exigences que la morale humaine n’approuve pas toujours. Quoi qu’il en soit, et à distance de près d’un soixante ans, on se demande si le vent n’est pas prêt de tourner en faveur de Camille, au grand désavantage de Paul.

Bon grain, ivraie. Ivraie, bon grain, faites vos jeu.

Reste que Camille Claudel a payé son tribut de plus de trente années d’asile psychiatrique, recluse dans une solitude commandée par sa mère (pas de courrier sinon à Paul et elle, zéro visite autorisée), dans le dénuement tandis que Paul s’offrait le château de Brangues (près de Chambéry) à trois cents kilomètres de là — certes, il lui fera douze visites… douze visites en trente ans. C’est très occupé un poète officiel).

Jean-Paul Morel, l’un de nos meilleurs enquêteurs en histoire esthétique et littéraire, a produit sur le cas Camille Claudel un document assez définitif pour se faire une idée des faits et des causes : ainsi, repris intégralement, relus correctement (les éditions tronquées antérieures sont percluses de coquilles et d’interprétations fautives), les dossiers médicaux démontrent que l’enfermement prescrit par le médecin de famille fut abusif. Et la thèse des psychiatres Capgras et Sérieux, qui considèrent les cas de délires d’interprétation dès 1909 comme ne réclamant pas l’enfermement, vient confirmer le fait.

Fine mouche, Jean-Paul Morel a également mis la main sur les troublants articles d’une campagne de presse, malheureusement écourtée par la déclaration de guerre de 1914, qui réclamait déjà la libération de Camille Claudel, pour les mêmes causes : l’enfermement abusif était déjà dénoncé !

Accusé de tous les maux, Rodin apparaît quant à lui dédouané : usant de fausses identités, il ne cessa d’aider financièrement Camille.

Camille Claudel passa donc près de trente ans de sa vie en asile, dans un isolement cruel et mourra de malnutrition en 1943 (et non en 1920 comme l’ont longtemps indiqué les ouvrages de référence), tandis que sa légende s’était déjà construite. Témoin Paul Morand qui résume ainsi son cas dans ses mémoires : « (…) c’est une histoire très triste. Cette fille est sa meilleure élève ; elle a du génie ; elle est très belle, et elle l’aime ; mais elle est folle. Elle s’appelle Camille Claudel. »

Folle ? pas si sûr. Et si elle avait été rendue amère et paranoïaque en se butant des années durant à la société, refusant à une femme ce qu’elle accorde à des Hommes ? On le serait à moins. D’autant que la vision romantique exposée par Paul Morand peut paraître sommaire puisque la vérité de Camille Claudel s’est montrée difficile à rétablir, jusqu’à aujourd’hui, certains faits ayant été cachés, d’autres — et combien ! — déformés.

Grâce à Jean-Paul Morel, qui au terme de son enquête patiente livre intégralement les éléments subsistants du dossier (archives médicales, de Rodin, articles de presse, correspondance officielle, etc), on a enfin de quoi se faire son idée, d’autant que notre détective s’est gardé d’interpréter à notre place, offrant des documents rétablis, en une pièce, ou tout simplement inédits. Qu’on n’aille pas prétendre que d’autres l’avaient fait avant lui : ce serait outrageusement faux. On sait désormais ce qu’il en est du cas Camille Claudel :

En somme, si Camille Claudel a eu des débuts difficiles, une relation amoureuse difficile, des parturitions difficiles, une vie professionnelle difficile, elle a une existence tragique pour des causes notoires : l’ego de son frère, l’intransigeance criminelle de sa mère — les lettres de Claudel mère sont à cet égard décillantes : on a rarement lu des choses aussi obtuses et délibérément méchantes, d’une mère condamnant sa fille au cauchemar —, et, dans une certaine mesure, le propre caractère de Camille qui l’a mise en porte-à-faux. On sait d’ailleurs très bien et depuis très longtemps à quel virus elle avait été exposée : la bourgeoisie.

Et la bourgeoisie, comme chacun sait, c’est l’équarrissage du génie.



Jean-Paul Morel Camille Claudel : une mise au tombeau. — Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, coll. “Réflexions faites”, 2009, 320 p. 22, 50 €

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