Charles Dickens, badeau à malices

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Des chroniques inédites de Charles Dickens, n'est-ce pas une réjouissante opportunité ?
Fruit des articles que l'écrivain publiait dans les années 1860 dans les pages de son journal, All the year round, sous le pseudonyme narquois du "Voyageur sans commerce", il y établissait sa chronique, parfois étonnante.

Les grands vents de ces derniers jours m'ont entraîné en différents endroits — et, en vérité, qu'il y ait du vent ou non, j'ai toujours, de manière générale, de nombreuses activités en rapport avec l'air.

Choisis par le libraire et écrivain Jean-Pierre Ohl, les textes publiés ici pour la première fois en français donnent une image plus qu'émouvante de Dickens, et une belle idée de son talent d'observateur. Déambulant à Londres, en Angleterre, dans les Alpes, il rapporte des faits originaux, qu'il tisse en larges couronnes d'images plus stupéfiantes les unes que les autres, d'expériences singulières. On pouvait ignorer jusqu'ici son insomnie qui le conduit à arpenter les rues jusqu'à l'aube à la recherche des rares lieux encore vivants, sinon éclairés et cette attirance si forte qu'il éprouve pour les lieux de mort (la morgue parisienne, notamment). Analyste des moeurs, de l'Homme, on se régale de son observation la plus clinique, celle qui concerne une étrange maladie sociale, que nous avons peut-être tous cotoyée sans y prendre garde, la Pourriture sèche :

C'est une maladie bien curieuse que cette Pourriture Sèche chez l'homme, et difficile à détecter à ses débuts. Elle avait conduit Horace Kinch dans les murs de la vieille prison de King's Bench, et l'en avait fait sortir les pieds devant. C'était un homme agréable à regarder, dans la fleur de l'âge, fortuné, avec l'intelligence dont il avait besoin, et très apprécié de ses nombreux amis. Il avait une femme qui lui était bien assortie, et des enfants en bonne santé et mignons. Mais, comme il arrive parfois aux belles maisons ou aux beaux bateaux, il fut atteint de Pourriture Sèche. La première manifestation de la Pourriture Sèche chez l'homme est une tendance à traîner à l'abri des regards, à se trouver à des angles de rue sans raison intelligible, à errer sans but quand on le rencontre, à être en plusieurs endroits plutôt qu'en un, à ne rien faire de concret, mais avoir l'intention d'accomplir une multitude d'actions concrètes le lendemain ou le surlendemain. Lorsqu'il constate cette manifestation de la maladie, l'observateur la relie généralement à une vague impression, déjà ancienne ou récente, que le patient avait une vie un peu trop difficile. Il aura à peine eu le temps d'y penser et d'émettre le terrible soupçon de "Pourriture Sèche", qu'il remarquera une dégradation dans l'apparence du patient : un certain manque de soins, une sorte de détérioration, dus ni à la pauvreté, ni à la saleté, ni à l'alcool, ni à la mauvaise santé, mais simplement à la Pourriture Sèche. A ceci succède une odeur comme de fortes eaux, le matin ; ensuite un certain laxisme quant à l'argent ; puis une odeur plus forte comme d'eaux très fortes, tout le temps ; et encore un certain laxisme envers toutes choses ; enfin, un tremblement des membres, une somnolence, une tristesse et un effondrement en miettes.



Voici donc un pan documentaire de l'oeuvre de Charles Dickens, il est passionnant. Le livre paraît aujourd'hui.


Charles Dickens Le Voyageur sans commerce. Traduction de Catherine Delavallade. Préface de Jean-Pierre Ohl. Illustrations de David Prudhomme — L’Arbre vengeur, 224 pages, 13 euros. Parution le 15 septembre 2009

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