Algérois et Algériens par René-Louis Doyon

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René-Louis DOYON

Méditerranéen des Syrtes au golfe du Lion en passant par l'amarissima et la tyrrhénienne. Sous le signe de la mer aux trois continents et sous la robe du mandarin qu'il endossa pour consterner les sots, René-Louis Doyon est une inquiétude qui gouaille et fouaille. Il n'a pas acquis en son Blidah natal la sérénité musulmane, ni, dans l'Italie de ses études, la désinvolture lyrique de nos frères transalpins.
Il a pourtant trouvé un apaisement : la connaissance; et une devise : On se lasse de tout excepté de connaître. Pour connaître, il faut chercher. Les bibliothèques de France, d'Italie, de Hollande, d'Espagne, de Rhénanie ont accueilli le mandarin et lui ont livré quelques richesses nouvelles des trésors casanoviste ou stendhalien. Un livre de vers : Un Passé mort. Le titre est une profession de foi. Deux romans : 'La Consomption, La Mise au tombeau, sur les vocations religieuses esquivées ou désertées. Des pamphlets : L'Horizon débridé qui lui ont fait quelques ennemis acharnés. Une biographie : La Vie tragique d'Isabelle Eberhardt, la bonne nomade. Des articles, des chroniques, ce « Livret du Mandarin » qu'il rédige seul et dont la collection vaut son pesant d'or, — et enfin de belles éditions amoureusement composées, de beaux livres où Renan et Barbey voisinent avec Tailhade, tels sont les résultats d'une infatigable activité mise au service de l'incontestable talent - de l'esprit d'indépendance et de l'appétit intellectuel de cet Algérien.

Pierre Bonardi


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ALGÉROIS ET ALGÉRIENS
Par René-Louis DOYON

Tandis que se groupent, se liguent, ont leur bannière ou leur journal, les deux parfois, les provinciaux spécialisés qui ne veulent pas être noyés dans la capitale, les fils d'Alger, les enfants de la terre nord-africaine sont des individualistes raisonnables, apprennent seuls à nager comme parle chez eux Jacques Bonhomme ou Papa-Louette, et croient peu ou prou à une solidarité officielle prêchée et pratiquée aux bénéfices d'ambitions, de vanités et parfois de parasitismes. S'ils ont besoin de se rappeler le boulevard Front-de-mer, s'ils veulent aller en Bollon comme on allait en Bourdaloue, s'ils veulent revoir le boulevard Trumelet, le Bois Sacré ou les Gorges, ils savent que deux jours après avoir quitté Paris, ils pourront resavourer cet unique printemps nord-africain et reboire l'aride siroco (quelque anisette aidant). Une autre raison pour eux de combattre en tirailleurs, c'est qu'ils ne forment pas une grouillante colonie dans Paris où chacun est parisien fors le Parisien lui-même. Cependant, il en est ; je vais vous en nommer.
Je me souviens que tout petit enfant, à Blidah, j'allais dans l'étroite rue des Juifs acheter mes fournitures d'écolier dans une minuscule boutique où un vieillard trop grand pour elle vendait des cahiers à un sou et des images à deux ; c'était le père Isola ; il engendra les seules gloires (?) de Blidah, deux joueurs de passe-passe, escamoteurs audacieux, Roberts-Houdins qui s'essayèrent dans la. chanson et la gestion de belles gorges, frères Siamois, l'un concave et l'autre convexe qui, partis les poches vides, mais avides de résultats plus que de gloire, réussirent dans l'entreprise des voix et partagèrent les recettes, la légion d'honneur, la Gaîté et l'Opéra-Comique ; singuliers modèles qui excitent les imaginations sans provoquer beaucoup d'imitations. Mais nous avons au moins des représentants, depuis le colossal et immarcescible Thomson jusqu'à M. Saint-Germain qui représentent chez les pères Conscrits les points les plus opposés, et le vivant docteur Gasser qui, sans truc, sans omnipotence, sans marché, sans marchandage, succéda au plus représentatif des Républicains de la 3e République, au plus industrieux des ministres, au plus ministrable des industriels, au plus tristement typique des bergers parlementaires, à feu et sinistre Etienne que nous laissons aux vers grouillants. Très chic député aussi Maurice Morineau qui fut l'un des Mousquetaires gris et qui est le .Jugurtha de Constantine, l'admirable ville de Sophonisbe ; Morineau, fort en voix, autoritaire et intelligent qui, s'il osait... Mais parlons du réel ; il y a M. Fiori, rédacteur du Papa-Louette, journal en sabir ispano-italo-arabo-français, vert d'image et simple d'esprit quoique malin ; on accède à la renommée par différentes voies ; le Papa-Louette, aussi répandu que l'absinthe, popularisa son directeur et en fit, avec les événements, un député. Certes, la politique sollicite beaucoup les activités.
Jadis, on proposait aux rhétoriciens l'exemple du tribun Viviani, un Oranais qui, après des succès de vélocité élocutoire, n'arriva qu'à éteindre son étoile ; je crois fort que les Algériens sont peu sensibles à l'exemple ; les Magots des gorges de la Chiffa ne sont pas précisément leurs frères. L'Algérie n'a eu qu'un Yiviani ; son imitateur, Max Régis, qui connut à 25 ans les triomphes populaires les plus étonnants, réussit à soulever un département, à faire démolir des milliers de boutiques et débarquer trois gouverneurs, a sombré dans l'opulence, racheté par son frère, l'habile chirurgien François Régis. Enfin, pour épuiser le bottin politique et journalistique des fils nés dans la seconde France, citons M. Pierre Gaudin, conseiller municipal de Paris, qui aida le Tigre, comme chef de cabinet, à faire trembler et à brouiller un peu plus les affaires nationales ; M. André Grisoni, secrétaire du parti radical ; notre collaborateur Charles Lussy ; M. Edouard Croccikice qui délaissa Oran pour la littérature politique, et enfin M. Gentil. La médecine et le barreau ont quelques représentants choisis : Mes Monce Paoli et Raphaël Adad et les docteurs Félix Paoli et Gaillard.
Le théâtre a toujours séduit les fils du Soleil. Depuis Polaire et Boucot, tous deux Algérois, des comiques et des chanteurs quittèrent les côtes héliennes pour venir dans le creuset de toutes les gloires, Paris : Dufleuve, Mlle Rayon, de l'Opéra-Comique ; M. Lemoine-Podesta, ténor de l'Opéra. Des peintres (l'Algérie, c'est la couleur plus que la nuance !) : René Hanin, qui vient d'obtenir un réel et mérité succès avec sa série originale sur Versailles ; Galand et ses splendides aquarelles ; Suréda, peintre si personnel, à qui j'ajoute M. Fayard, sculpteur. Parmi les hommes d'affaires intègres, citons M. Pical.
Pour la littérature, le plus connu de nos compatriotes périodiquement parisien est Robert Randau, familier de la brousse attirante et .dévoratrice, si chaudement incantée par notre Pierre Bonardi. Robert Randau a pris place enfin dans la notoriété parisienne et fait oublier de consciencieux polygraphes, comme M. Mélia ou un autodidacte comme M. Martello Cabri ou Farbi (1). Parlez d'un Hagel, conteur original et vigoureux et de Lecoq ; ces deux associés donnent de l'Afrique du Nord une autre peinture que les lignes melliflues et académiques de Louis Bertrand ou les plates compilations de M. Douël. Je n'oserai pas dire que la poésie algérienne ait son représentant dans Edmond Gojon, arrière-petit-fils des séides de Herédia, pas plus qu'en feu Jean Richepin, né par hasard à Médéa. On peut et doit espérer mieux d'un pays si beau qui attend encore son savant, son penseur, son psychologue, son Pascal, son Rimbaud, son Flaubert.
Paris donne bien à Alger de fines fleurs de son bitume ; Alger nous donnera bien un jour une belle gloire après - des types nettement originaux.

René-Louis Doyon


(1) Doyon, qui appelle de ses voeux un Camus, qui viendra finalement, se paye ici la tête de Marcello-Fabri. (NdPM)


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